Si la décennie 2001-2010 a été la plus chaude depuis le début des relevés de températures en 1850, la hausse régulière des températures à l’échelle planétaire depuis le début des années 1970 semble marquer une pause ces dernières années. Ce type d’événement climatique est du pain béni pour les climato-sceptiques, qui remettent en cause le rôle des activités humaines dans le dérèglement climatique que connaît la Terre depuis des décennies, n’y voyant qu’une variabilité naturelle du climat. Deux climatologues du National Center for Atmospheric Research, situé à Boulder dans le Colorado (États-Unis), ont ainsi cherché à comprendre l’origine de cette pause apparente dans le réchauffement climatique : la Terre aurait-elle cessé de se réchauffer ?

Pour Kevin Trenberth et John Fasullo, « la réponse dépend en partie de ce que l’on entend par « réchauffement climatique »« . Derrière cette réponse de Normand se cache la mécanique complexe du thermostat planétaire. Les climatologues s’accordent ainsi pour attribuer une valeur positive au forçage radiatif, une grandeur thermodynamique qui correspond à la différence entre la chaleur reçue et la chaleur émise par le système Terre : de façon globale, notre planète engrange donc de l’énergie. Pour les climato-sceptiques, ce forçage est avant tout d’origine naturel : il peut s’agir des éruptions volcaniques qui émettent des nuages de particules dans l’atmosphère (comme a pu le faire il y a des milliers d’années le super-volcan Toba) ou encore des variations cycliques de l’activité solaire. Des causes anthropiques entrent également en ligne de compte, expliquant la hausse récente des températures : les gaz à effet de serre augmentent le forçage en « piégeant » les radiations émises dans l’atmosphère, alors que les aérosols ont un effet opposé et contribuent à « refroidir » la Terre. Tous ces facteurs modifient le forçage radiatif et contribuent au déséquilibre de la balance énergétique de la Terre. Toutefois, ce surcroît d’énergie emmagasiné ne se traduit pas de façon linéaire par une hausse des températures : cette énergie peut être transformée en autre chose que de la chaleur relarguée dans l’atmosphérique. Elle peut ainsi contribuer à la fonte des glaciers et des glaces polaires (qui a des conséquences diverses sur l’écosystème arctique) ou au réchauffement des océans, qui se traduit par une montée des eaux de 3,2 mm par an entre 1992 et 2012 selon les estimations des deux climatologues américains.

L’océan Pacifique a stocké la chaleur dans ses profondeurs

Les profondeurs des océans se sont réchauffées plus rapidement que la surface ces dernières années, emmagasinant une grande part de la chaleur piégée par les gaz à effet de serre (les périodes orangées indiquent les éruptions des volcans El Chichón et Pinatubo).

D’où provient donc le plateau que semble avoir atteint la température moyenne globale ces dernières années ? D’une diminution du forçage radiatif, ce qui signifierait un réel ralentissement du dérèglement climatique, ou d’une variabilité naturelle du climat planétaire ? Il existe en effet de grands phénomènes climatiques naturels qui ont un impact majeur sur les températures. C’est le cas notamment d’El Niño, un courant marin chaud de l’océan Pacifique sud, lié à un cycle de variations de la pression atmosphérique appelé oscillation australe : selon Kevin Trenberth et John Fasullo, El Niño est responsable d’une grande part des fluctuations interannuelles du climat depuis 1970. Pour les deux climatologues, il est donc essentiel de tenir compte de tels phénomènes climatiques, encore mal modélisés par les grandes simulations numériques sur lesquels reposent les scénarios d’évolution du climat publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Afin de répondre à la question, les deux chercheurs se sont penchés sur le nouvelle analyse de la chaleur emmagasinée par les océans (oceanic heat content) menée en 2012 par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme. Celle-ci fait apparaître que « plus de 30 % de la chaleur a été emmagasinée dans les océans sous 700 m de profondeur, de façon inédite après 2000« , date à laquelle le stockage d’énergie par les différentes couches des océans a commencé à diverger ; ce réchauffement préférentiel des eaux profondes par rapport à la surface des océans « a été associé principalement à des changements des vents tropicaux et subtropicaux balayant l’océan Pacifique« . Pourquoi ce brusque revirement de l’équilibre thermique du Pacifique ? Il semblerait lié au changement de phases de l’oscillation décennale du Pacifique (ODP) en 1999, impulsé par l’épisode 1997/98 d’El Niño, particulièrement intense. Alors qu’avant 1999, l’ODP favorisait le maintien de la chaleur captée par l’océan Pacifique à sa surface, ce changement de phase se traduit par un « enfouissement » des eaux chaudes et un refroidissement relatif de la surface.

Ainsi, le plateau de la température moyenne planétaire observé ces dernières années est principalement dû au « non-réchauffement » de l’océan Pacifique central et oriental, lié au basculement de l’ODP (comme on peut le voir sur ces cartes). La Terre a ainsi stocké la chaleur superflue au large du Mexique et du Pérou plutôt qu’au-dessus des terres habitées. Conclusion de Kevin Trenberth et John Fasullo : « Le réchauffement climatique ne s’est pas arrêté : il s’est simplement manifesté d’une façon différente« .

Source : K.E. Trenberth et J.T. Fasullo, An apparent hiatus in global warming?, Earth’s Future, 5 décembre 2013.

Crédit photo : Andrea Zeppilli – Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).