Ce 26 août a été un triste jour pour l’Arctique : il a marqué la rétraction estivale de sa banquise la plus importante depuis le début des enregistrements satellitaires il y a une trentaine d’années. Cette menace sur les banquises immaculées du Grand Nord nous fait instinctivement craindre pour les ours blancs. Mais qu’en est-il du reste de l’écosystème arctique, et notamment de la faune qui vit sous la glace ? Pour le savoir, des chercheurs de Tromsø (Norvège) et de l’université du Delaware (États-Unis) ont suivi la route d’Apherusa glacialis, un petit crustacé pullulant dans les eaux septentrionales.

Apherusa glacialis est un membre de la famille des amphipodes, lesquels constituent la majeure partie de la biomasse vivant sous les glaces de l’Arctique. Ce petit crustacé, long de quelques millimètres, a été pêché par les zoologues, lors d’une nuit de janvier 2012, au nord de l’archipel norvégien du Svalbard, à des profondeurs dépassant les 200 mètres. Sa présence en profondeur indique que ce crustacé peut vivre loin des glaces de surface. Cette découverte a incité les chercheurs à proposer un modèle de migration des crustacés le long des courants marins profonds qu’ils ont nommé l’hypothèse Nemo, en hommage au film de Pixar où Marin le poisson-clown utilise ces mêmes courants pour partir à la recherche de son fils (plus d’explications dans cet extrait).

À contre-courant de la fonte des glaces

Apherusa glacialis fait partie de cette faune arctique qui profite des courants marins pour remonter vers le pôle Nord et échapper à la fonte de la banquise plus au Sud.

Alors que les glaces arctiques dérivent vers le sud, où elles fondent en été, A. glacialis profite des nuits hivernales pour s’échapper des icebergs et gagner les profondeurs de l’océan Arctique. Le crustacé peut alors migrer le long des courants (en l’occurrence, la branche Nord du Gulf Stream) qui se dirigent vers le pôle Nord. En suivant ces courants dits de retour, dont la vitesse avoisine les 9 km par jour, les crustacés pourraient ainsi remonter en deux à trois mois la distance parcourue le reste de l’année, accrochée aux glaces faisant route vers le sud (les courants de surface étant plus lentement, autour de 2 km/jour). Pour les chercheurs, la nuit polaire représente la meilleure opportunité de se détacher de la glace : il n’y a pas beaucoup d’algues à cette période de l’année pour se nourrir près de la glace, et l’obscurité protège des éventuels prédateurs marins. Ainsi, « en supposant qu’elle reste en profondeur pendant le milieu de l’hiver, la faune des glaces pourrait remonter et coloniser de nouveau la glace de surface avant la floraison printanière des algues de glace« , précisent les auteurs de l’étude en bouclant la boucle annuelle de A. glacialis et consorts.

Alors que nous croyions ces crustacés totalement dépendants de la glace, ils sembleraient moins menacés par le recul de la banquise que nous pouvions le craindre. Ceci expliquerait comment ces crustacés ont pu survivre lors de périodes plus anciennes du Quaternaire où l’Arctique était complètement libéré des glaces pendant l’été, et montre que toutes les espèces arctiques n’ont pas autant à craindre du recul de la banquise. Heureusement pour les défenseurs de l’environnement, l’ours blanc restera toujours plus « bankable » qu’un crustacé millimétrique, et conservera son statut d’ambassadeur de la lutte contre le réchauffement climatique !

Source : J. Berge et al., Retention of ice-associated amphipods: possible consequences for an ice-free Arctic Ocean, Biology Letters, 12 septembre 2012.

Crédit photo : NASA Goddard Photo and Video – Flickr (CC BY 2.0) ; Geir Johnsen.