La fin d’année approchant, les rétrospectives pleuvent, et il est agréable de voir que la science est cette année à l’honneur, notamment par l’entremise du boson de Higgs, retenu dans la short list établie par le célèbre magazine américain Time pour la “personnalité” de l’année 2012 (la rédaction lui a finalement préféré Barack Obama, déjà auréolé en 2008). Mais au-delà de cette découverte qui a outrepassé les cénacles habituels de la communauté scientifique, une multitude de travaux ont cette année encore enrichi la somme des savoirs accumulés par les chercheurs. Certains ont trouvé un écho sur ce site, choisis pour leur côté ludique ou leurs conséquences sur notre société, et d’autres sont malheureusement passés à la trappe, ou pire, ont échappé à mon attention. Il faut dire qu’il est bien difficile de faire un choix parmi la montagne d’études publiées, la revue PLoS ONE, régulièrement citée ici, ayant par exemple édité en 2012 plus de 22 000 articles ! Voici donc un bref aperçu des quelques sujets qui auraient pu être abordés cette année.

Veau, vache, cochon, couvée and co.

Un terme revient souvent lorsqu’on feuillette les revues académiques (on devrait plutôt parler de navigation, tant le numérique a pris le pas sur l’édition papier) : microbiote. Ce mot désigne une communauté bactérienne abritée par un environnement spécifique, comme le nombril humain, mais il est plus souvent utilisé à propos de la faune peuplant notre système digestif. Le consortium européen MetaHIT a organisé à Paris en mars dernier un congrès international dédié à cet écosystème particulier : s’il est encore mal connu, on le soupçonne d’être un élément clé du métabolisme alimentaire et de participer à l’émergence de troubles comme le diabète ou l’obésité. C’est pour cela qu’une équipe menée par Claire Fraser, de l’universié du Maryland à Baltimore (États-Unis), a comparé le microbiote intestinal de 310 individus appartenant… à la plus ancienne communauté Amish des États-Unis, installée dans le comté de Lancaster en Pennsylvanie ! L’objectif : détecter d’éventuelles corrélations entre une surcharge pondérale et la présence de certaines espèces de bactéries dans l’intestin de ces individus, choisis pour leur grande homogénéité génétique.

Les génomes de toutes les espèces réfugiées dans la mythique Arche de Noé seront bientôt séquencés. Question subsidiaire : l’artiste a-t-il représenté correctement les pattes du cheval ?

Autre mot à la mode en 2012, le séquençage du génome. Le succès du Human Genome Project, qui s’est achevé en 2003 par le séquençage complet du génome humain et aurait rapporté à l’économie US 141 fois l’investissement initial (un bel exemple illustrant l’importance du soutien à la recherche fondamentale), a conduit à une seconde étape, nommée ENCODE, laquelle a donné ses premiers résultats en septembre 2012 (plus d’infos sur le blog de Marc Robinson Rechavi, un confrère du C@fé des sciences). Au-delà du génome humain, l’année 2012 a été riche en séquençage : trois espèces de crocodiles en janvier, la tomate en mai suivie par notre cousin le bonobo en juin et le melon au mois de juillet, sans oublier l’orge au mois d’octobre, la pastèque, le cochon domestique et le blé en novembre, pour terminer par la chèvre il y a quelques jours (et j’en oublie sûrement). Le déchiffrage du patrimoine génétique de ces espèces fait avancer nos connaissances du monde animal et des liens évolutifs qui le parcourt, mais a également des conséquences pour la culture des plantes cultivées et la sélection génétique des cultivars.

Au rayon animalerie, une équipe française a détecté chez le puceron vert du pois (Acyrthosiphon pisum) un mécanisme archaïque de photosynthèse, un phénomène de conversion de l’énergie lumineuse en courant électrique répandu chez les plantes vertes mais jusque-là inconnu chez les animaux. Des chercheurs thaïlandais ont montré que le sang du crocodile du Siam (Crocodylus siamensis) présentait des propriétés antibactériennes contre la salmonelle ou le bacille virgule, responsable du choléra. De quoi conforter les défenseurs des écosystèmes menacés, réservoirs de biodiversité qui peuvent être mis à profit par l’industrie pharmaceutique comme nous l’avions détaillé dans un précédent article. À l’opposé, des biologistes marins américains ont mis au jour le rôle néfaste des thons rouges du Pacifique (Thunnus orientalis) dans la dissémination des retombées radioactives de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi jusqu’aux côtes californiennes.

Des chercheurs qui cherchent, on en trouve…

Cette année a également montré l’essor de la neuroimagerie par IRM fonctionnelle, aux application parfois surprenantes, de la détection d’une éventuelle peur des maths à l’arbitrage du basket-ball, comme l’a montré une équipe milanaise conduite par la psychobiologiste Alice Mado Proverbio. Le cerveau d’un joueur de basket réagit en effet d’une façon distincte lorsque celui-ci regarde une action de jeu correcte ou incorrecte : il serait ainsi possible de détecter une éventuelle faute en mesurant les ondes cérébrales de joueurs sur le banc de touche.

Dans la rubrique “Les chercheurs sont formidables”, cette année aura apporté des réponses à certaines questions essentielles. Vaut-il mieux grimper les escaliers quatre à quatre pour dépenser plus de calories, se sont interrogés Lewis Halsey et ses collègues britanniques ? Le chocolat améliore-t-il les performances intellectuelles de l’escargot, et notamment sa mémoire ? La réponse réside dans une étude conduite par l’équipe canadienne de Ken Lukowiak, qui s’étonne lui-même de ses résultats : “Je ne pensais pas que tout cela allait fonctionner“. Pour la représentation d’un animal en mouvement, les peintures rupestres préhistoriques sont-elles plus fiables que les croquis de Léonard de Vinci, s’est demandé une équipe de biophysiciens hongrois ? Des chercheurs grecs ont quant à eux résolu le mystère de la saveur inimitable de la saucisse de Francfort, alors qu’une collaboration internationale regroupant sept instituts de recherche a répondu à une question brûlante : les grands singes souffrent-ils de la crise de la quarantaine comme leur cousin Homo sapiens ? Manger des noix tous les jours a un impact sur la fertilité des mâles, d’après les conclusions d’une étude californienne publiée cet été dans la sérieuse Biology of reproduction, proposant une solution à la baisse de la quantité de spermatozoïdes produits par les Français, d’après les constatations des chercheurs de l’Institut de veille sanitaire. Et puisque le sexe fait vendre, des Français menés par Jeanne Ropars du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris ont cherché à connaître, non pas le sexe des anges, mais celui de Penicillium roqueforti : le champignon, utilisé pour les fromages bleus, n’est pas aussi asexué qu’on pourrait le croire.

Science et société font bon ménage

Cocorico ! Le physicien français Serge Haroche décroche le prix Nobel. Il est le huitième Français a recevoir cette distinction depuis l’an 2000 (dont deux prix Nobel de littérature).

Plus sérieusement, les recherches conduites en 2012 ont permis d’éclairer les grands débats qui traversent la société. L’impact de l’homme sur l’environnement a été au cœur de nombreux travaux (comme nous avons pu l’aborder ici ou ). Loïc Tudesque et ses collègues toulousains ont ainsi montré que l’orpaillage pratiqué illégalement en Guyane a un impact durable sur les populations de micro-algues appelées diatomées qui prospèrent dans les cours d’eau amazoniens. La fragmentation des forêts ne menace pas que les réserves tropicales, mais également les massifs des États-Unis, d’après une enquête menée par le département de l’Agriculture et l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA). Enfin, une étude publiée dans Nature Climate Change a chiffré l’impact des 360 000 tonnes de lait gaspillées chaque année au Royaume-Uni : cela représente 100 000 tonnes d’équivalent carbone, soit l’émission annuelle de 20 000 voitures !

Quant aux controverses qui ont animé le landerneau scientifique, on pourra citer en France les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche lancée cet été par la nouvelle ministre Geneviève Fioraso, auxquelles a participé Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012 pour ses travaux sur la physique quantique (prix partagé avec David J. Wineland). Le physicien français a profité de cette soudaine exposition médiatique pour aborder les questions qui fâchent lors d’une interview au quotidien Le Monde mais également dans une excellente tribune à Nature (en anglais ici) : la course aux publications, aux appels à projets, la diminution des financements pérennes de la recherche…

La recherche devra affronter ces questions au plus vite, sans négliger d’autres sujets, comme celui d’un certain sexisme de la science (abordé cette année dans l’article Le machisme implicite des chercheurs), auquel la revue Nature promet d’être attentif à l’avenir, notamment dans la sélection des experts chargés d’évaluer les articles avant parution. Espérons que la vidéo française gagnante du concours européen pour la promotion de la science chez les jeunes filles saura faire oublier la triste première tentation de l’Union européenne dans ce domaine…

Enfin, un autre sujet crucial concerne la question du libre accès aux recherches. Pour tout comprendre sur l’open access, je vous recommande l’excellente vidéo de l’excellent PhD Comics (malheureusement en anglais…). Alors qu’une pétition appelant au boycott de l’éditeur Elsevier avait réuni plus de 13 000 signatures au printemps, l’offensive se poursuit avec l’initiative Access2research qui réclame un libre accès aux recherches financées sur fonds publics. Avis à tous ceux qui pensent encore que les chercheurs ne sont pas des révolutionnaires dans l’âme !

Crédit photo : Christopher C. Austin – Louisiana State University ; Edward Hicks – Wikimedia Commons ; Bengt Nyman – Wikimedia Commons (CC BY 2.0).