Objet d’étonnement pour les enfants, mais également pour les chercheurs les plus chevronnés, le nombril est le terrain de chasse d’une équipe d’écologues conduite par Jiri Hulcr, de l’université d’État de Caroline du Nord (États-Unis). Ils ont ausculté le ventre de soixante volontaires pour décrire la vie foisonnante abritée par leurs nombrils. Le but de ce projet participatif intitulé Bell Button Biodiversity : décrire la diversité des bactéries qui nous colonisent.

Les biologistes s’intéressent de près aux bactéries qui vivent en symbiose avec leur hôte humain. Par exemple, le microbiote intestinal (plus connu sous le nom de flore intestinale) rassemble environ 100 000 milliards de bactéries, soit dix fois le nombre de cellules constituant le corps humain, pour une masse totale voisine de deux kilogrammes. Le zoo bactérien hébergé par notre intestin constituerait ainsi le plus gros « organe » humain, devant le cerveau avec ses 1,4 kg. Les bactéries qui colonisent notre tube digestif, mais aussi notre peau, jouent en effet un rôle essentiel dans le fonctionnement de notre organisme : elles assurent la synthèse de certaines vitamines, participent à la digestion de fibres ou contribuent encore à notre système immunitaire. Ces propriétés reposent notamment sur la biodiversité des écosystèmes bactériens. Dans la même veine, les chercheurs américains ont voulu recenser les différentes « espèces » bactériennes qui vivent dans nos nombrils (on préférera le vocable de phylotype pour décrire les bactéries).

Quelques oligarques règnent sur la jungle bactérienne

Le contenu du nombril d’un blogueur scientifique cultivé dans une boîte de Petri.

Le nombril de chaque volontaire a été échantillonné à l’aide d’un coton tige, pour y récolter les bactéries qui y ont trouvé place. Puisqu’il n’est pas toujours possible de les cultiver en laboratoire (même si le site www.wildlifeofyourbody.org abrite une belle galerie de boîtes de Petri couvertes de colonies bactériennes, dont celles recueillies dans les nombrils des auteurs de cette étude), les microbiologistes ont décrit l’ensemble des phylotypes bactériens grâce à leur matériel génétique (plus de détails sur ces techniques dans un précédent article, Bactéries 1 – WC 0).

Les chercheurs ont ainsi discerné près de 2 400 phylotypes différents, soit deux fois le nombre d’espèces d’oiseaux présents en Amérique du Nord. Parmi cette grande biodiversité bactérienne des nombrils, les biologistes ont détecté trois archées : ces micro-organismes n’avaient jamais été observés sur une peau humaine, plus habitués aux milieux extrêmes comme les geysers. Mais, précisent les auteurs, « deux de ces trois phylotypes étaient issus d’un individu qui a déclaré ne pas s’être lavé depuis plusieurs années« …

Seuls 23 phylotypes bactériens sont présents chez plus de la moitié des individus sondés : ces bactéries, présentes en grand nombre chez la plupart des hôtes, sont appelées « oligarques », un terme utilisé pour décrire les espèces prépondérantes dans les forêts tropicales, qui abritent elles aussi des écosystèmes d’une grande biodiversité. Ces oligarques sont de plus assez proches d’un point de vue phylogénique, ayant probablement évolué conjointement pour s’adapter à cet environnement particulier. À l’opposé, les nombreux phylotypes rares (en nombre et en fréquence) seraient sans doute présents de façon transitoire, apportés par les vêtements par exemple. Si le bouillonnement bactérien du nombril vous a passionné autant que les chercheurs américains, vous suivrez avec enthousiasme le nouveau projet de leurs collègues, qui explorent cette fois-ci l’horizon enchanteur… de nos aisselles !

Source : J. Hulcr et al., A Jungle in There: Bacteria in Belly Buttons are Highly Diverse, but Predictable, PLoS ONE, 7 novembre 2012.

Crédit photo : zabozrut – Flickr (CC BY-NC-SA 2.0) – Belly Button Biodoversity.