Les diplopodes, plus connus sous le nom de mille-pattes, méritent-ils réellement leur nom ? Le décompte s’avère presque correct pour Illacme plenipes qui détient le record du nombre de pattes à ce jour : 750 pour la femelle ! Cette espèce, décrite pour la première fois en 1928, a été redécouverte en 2006 à quelques encablures de San Francisco, dans les forêts de chênes du centre de la Californie. Une équipe de biologistes américains livre aujourd’hui une description détaillée de l’anatomie de cette curiosité animale, la seule représentante connue de cette famille de mille-pattes dans l’hémisphère Nord.

Illacme plenipes appartient à la famille des Siphonorhinidae, considérée comme le « cauchemar des taxinomistes » pour sa difficulté à la classer parmi les espèces de diplopodes. Le premier témoignage de l’espèce remonte à 1928 : à l’époque, deux chercheurs, O.F. Cook et H.F. Loomis, décrivent le mille-patte, inconnu alors, rencontré dans les forêts californiennes. Le document, malheureusement dépourvu de photographie ou de croquis, présente l’animal comme « l’espèce qui se rapproche sans doute le plus de l’expression mille-patte« , d’où son nom de baptême, Illacme plenipes, qui signifie (grossièrement) « l’apogée des paires de pattes ». Près de 80 ans plus tard, en 2006, Paul Marek et Jason Bond redécouvrent l’invertébré dans la même région, au cœur des vallées humides de chênes du comté de San Benito, près de la baie de Monterey, et le filment pour la première fois (vous retrouvez ici une vidéo de l’animal). 

Des pattes à perte de vue

La forêt de chênes californienne est le seul habitat de ce mille-patte, unique dans tout l’hémisphère Nord.

Les biologistes américains ont recueilli neuf spécimens sous de gros rochers de grès dans les vallées californiennes, où ils vivaient au côté d’autres arthropodes comme les araignées mygalomorphes Calisoga et les coléoptères Promecognathus. L’invertébré se déplace lentement dans cet environnement protégé, à la surface des rochers ou en partie enfoncé dans la terre.

Première constatation : les femelles sont plus imposantes que les mâles (en moyenne 1,4 fois plus longues et 1,2 fois plus larges). Le plus grand spécimen femelle mesure 40 millimètres pour un total de 750 pattes, là où le mâle le plus long mesure 12 millimètres de moins et plafonne à 562 pattes… Les invertébrés se différencient ainsi par leur longueur, liée au nombre de segments (appelés métamères) qui les composent. Le nombre de segments est fixé par anamorphose, le processus de développement de l’animal par lequel de nouveaux segments bourgeonnent au fil de sa vie : vu le grand nombre de segments d’Illacme plenipes, les auteurs suggèrent que l’anamorphose se poursuive « pendant une période indéterminée, s’étendant bien au-delà du moment où l’animal atteint la maturité sexuelle« . La clé du record de pattes de l’invertébré réside donc dans cette croissance ininterrompue.

D’autres caractéristiques d’Illacme plenipes sont détaillées dans l’article. Comme les autres membres de la famille des Siphonorhinidae, l’invertébré n’a pas d’œil. Il se distingue également par un métentéron (la partie postérieure du tube digestif) en tire-bouchon, comme il est représenté sur le schéma : cette organisation en spirale permet d’augmenter la surface de contact entre les aliments et la paroi du tube pour améliorer l’absorption des nutriments. Sachant que les mandibules semblent adaptées à la consommation des fluides contenus dans les plantes ou les champignons, les biologistes pensent que l’invertébré suit un régime pauvre, d’où la nécessité de tirer le meilleur parti des aliments ingérés.

L’animal semble confiné dans un petit périmètre de 4,5 km de diamètre en Californie. Comment expliquer que d’autres membres de la famille d’arthropodes se retrouvent un peu partout dans l’hémisphère sud (Himalaya, Nouvelle-Zélande ou Afrique du Sud) ? Pour les biologistes, il aurait existé un ancêtre commun avant la dislocation du supercontinent de la Pangée il y a plus de 200 millions d’années, et ses descendants auraient ensuite évolué séparément sur chaque continent. L’espèce qui a échoué en Californie y a survécu grâce au climat particulier de la région, et notamment au fameux fog qui recouvre fréquemment San Francisco et ses environs. Que va devenir le recordman du nombre de pattes à l’heure du réchauffement climatique, alors que la fréquence des brumes a déjà reculé de 33 % au cours du siècle dernier d’après une étude datant de 2010 (voir à ce sujet l’article San Francisco 2099) ? Sa myriade de pattes ne lui suffira sans doute pas pour fuir vers des cieux plus cléments.

Source : P.E. Marek et al., A redescription of the leggiest animal, the millipede Illacme plenipes, with notes on its natural history and biogeography (Diplopoda, Siphonophorida, Siphonorhinidae), Zookeys, 14 novembre 2012.