À quoi ressemblera la région de San Francisco dans cent ans ? Cinquième agglomération des États-Unis, berceau des nouveaux géants de l’économie tels Apple ou Google, bordée par une baie d’une grande richesse écologique, la Bay Area subit déjà les premiers signes du réchauffement climatique : des hivers et des printemps plus doux, une augmentation du niveau de la mer continue depuis les années 30, et des marées extraordinaires dont la fréquence a été multipliée par 20 en moins d’un siècle. En s’appuyant sur différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, une équipe de climatologues, travaillant à l’Institut d’études géologiques des États-Unis (U.S. Geological Survey) et dans différentes universités californiennes, a décrit les futurs possibles de cette région de la côte ouest des États-Unis à l’horizon de l’année 2099.

Face à l’océan Pacifique, la baie de San Francisco est un estuaire peu profond, alimenté par le delta San Joaquin-Sacramento dans lequel se déversent les fleuves Sacramento et San Joaquin, qui prennent leurs sources dans les chaînes montagneuses du Sierra Nevada et des Cascades de l’Est de la Californie (pour celles et ceux qui ont l’occasion de visiter la région, une visite au Bay Model Center, maquette au 1:1000e de la région, s’impose). Ce bassin versant, dont une grande partie des ressources hydriques provient de la fonte des glaces, approvisionne aujourd’hui 25 millions de Californiens en eau potable, et assure l’irrigation d’un million d’hectares de cultures.

Deux scénarios pour prédire le climat

Deux scénarios climatiques sont retenus par les climatologues parmi ceux figurant dans les conclusions du quatrième rapport d’évaluation du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en novembre 2007. Le premier scénario dit B1 est plutôt optimiste : le monde converge vers des pratiques plus soutenables, permettant de contenir les émissions à un niveau faible, alors que la population mondiale culmine au milieu du siècle pour décliner par la suite. Dans le second scénario A2, la situation est plus critique : les politiques menées sont très hétérogènes d’un continent à l’autre, les émissions poursuivent leur augmentation, tout comme la population. À partir de ces hypothèses, des modèles climatiques globaux, fondés sur des équations physiques, présentent des prédictions pour un niveau de précision de 2 à 3 degrés de longitude et de latitude (les résultats sont disponibles sur le site du PCMDI). Cette définition géographique est toutefois insuffisante pour étudier l’évolution du climat sur la baie de San Francisco. Une méthode dite d’analogues construits permet de déterminer à partir des données historiques mesurées sur le terrain des analogies avec les résultats obtenus à grande échelle par les modèles climatiques globaux : ces prédictions quotidiennes pour la température et les précipitations peuvent alors être affinées pour atteindre une précision d’une dizaine de kilomètres, et fournir des modèles climatiques régionaux fiables.

Selon les scénarios d’émissions A2 (en rouge) et B1 (en bleu), les évolutions du climat de la baie de San Francisco peuvent différer : si la température augmenterait dans les deux hypothèses, comme le niveau de la mer, les précipitations resteraient globalement constantes dans le cas où les émissions seraient contenus.

Une batterie d’indicateurs, de la salinité de la baie au niveau des précipitations, des températures de l’air et des cours d’eau en passant par la fonte des glaces et l’apport en sédiments dans la baie, sont calculés à partir des modèles climatiques globaux et des données historiques récoltées dans la région. Deux catégories d’indicateurs se distinguent : ceux pour lesquels les tendances sont identiques dans les deux scénarios, et ceux pour lesquels il demeure une incertitude. Dans la première catégorie figure par exemple l’augmentation du niveau de la mer, qui menace directement 270 000 personnes vivant au bord de l’estuaire, ou la hausse de la salinité entre + 2,2 g de sel par litre d’eau dans le scénario B1 et + 4,4 pour l’hypothèse A2 d’ici la fin du siècle, se rapprochant lentement des teneurs mesurées pour l’eau de mer. De la même façon, quel que soit le niveau d’émissions envisagé, les températures devraient augmenter, plus rapidement cependant dans le scénario A2, le plus pessimiste.

S’adapter à un avenir mouvant

Pour certains paramètres, l’avenir est plus flou, et dépend essentiellement de notre capacité à contrôler les émissions polluantes. Le niveau de précipitations devrait diminuer nettement dans l’hypothèse A2, mais rester stable pour le scénario B1. Dans ce dernier cas, les climatologues notent toutefois que les précipitations se feraient plus irrégulières qu’aujourd’hui, comme en attestent la possibilité d’une grande vague de sécheresse vers 2070. En effet, le réchauffement climatique entraîne un dérèglement général du climat : “les événements aujourd’hui extrêmes pourraient devenir la norme de demain” selon l’étude américaine. Par exemple, le réchauffement du fleuve Sacramento au-delà de 16°C, température mortelle pour le saumon chinook (Oncorhynchus tshawytscha), pourrait être fréquente : le scénario A2 l’atteste pendant plus de 20 mois sur une période de dix ans, à parti de 2080. En adoptant le scénario optimiste B1, les saumons pourraient continuer à frayer dans les eaux du Sacramento, sauf pendant cette vague de chaleur des années 2070.

De telles prédictions climatiques à l’échelle régionale peuvent aider les décideurs politiques à guider la nécessaire adaptation au réchauffement climatique, qui se traduira immanquablement par une hausse des températures et du niveau de la mer dans la baie. Les ordinateurs de simulation s’arrêtent là et l’homme reprend ses droits…

Source : J. Cloern et al., Projected Evolution of California’s San Francisco Bay-Delta-River System in a Century of Climate Change, PLoS ONE, 21 septembre 2011.

Crédits photo : Chris Stubbs (CC BY-SA 3.0).