Nous ne sommes pas seuls, comme s’escrimait à nous en convaincre Fox Mulder dans la série X-Files. En effet, nous vivons tous aux côtés d’innombrables petites bêtes, des microbes, qui forment ce que l’on appelle notre microbiote. Des milliards de micro-organismes pullulent ainsi dans notre intestin, notre nombril ou sous nos aisselles, où ils assurent tout un tas de fonctions importantes, jusqu’à influer sur notre santé, y compris sur la façon dont nous pouvons réagir à un traitement anti-cancéreux. Tout ça, vous le savez très bien, d’autant plus si vous avez lu l’excellent Moi, microbiote, maître du monde ou si vous êtes allé voir l’exposition que lui consacre la Cité des sciences et de l’industrie, mais quel rapport avec le poisson qui illustre cet article ? Pour cela, il faut suivre les derniers travaux de l’équipe d’Itzhak Mizrahi à l’université Ben Gourion du Néguev (Beer-Sheva, Israël), qui clame haut et fort sur le site Internet de son équipe : “Bacteria are everywhere” (les bactéries sont partout, pour celles et ceux qui ont raté leur TOEIC). Partout, y compris dans le tube digestif du tilapia bleu (Oreochromis aureus), un poisson tropical…

Les chercheurs israéliens se sont intéressés aux relations entretenues par ce poisson et son microbiote intestinal dans un contexte bien particulier, celui d’un coup de froid. Leur objectif était de tester comment un événement extérieur comme un changement de température de l’eau dans laquelle se baigne le poisson peut avoir un impact sur le microbiote qu’il héberge. En effet, selon le concept d’holobionte, un organisme hôte et son microbiote peuvent être considérés comme une seule et même entité biologique, une sorte de supraorganisme, qui vont réagir “en bloc” à des pressions extérieures. Ainsi, chez le poisson, un animal à sang froid (ou pour faire plus chic, poïkilotherme), on peut imaginer que les changements intervenant lors d’une baisse de la température extérieure vont influencer le microbiote qui vit en symbiose avec son hôte. C’est ce qu’ont cherché à mieux comprendre Itzhak Mizrahi et son équipe.

Un microbiote aussi frileux que son hôte

Dessine-moi un poisson.

Les chercheurs ont obtenu par croisements successifs deux types de poissons, l’un plus frileux et l’autre plus résistant au froid. Ils ont ensuite soumis ces deux familles de tilapia à deux environnements distincts : un bain à 24°C (température habituelle pour ces poissons) et un autre à un bain refroidissant progressivement jusqu’à 12°C. Première constatation : un bain froid modifie le microbiote des poissons. Celui-ci est moins abondant et moins diversifié, avec la perte significative de plusieurs familles de bactéries. Les microbiologistes ont également observé que cette “douche froide” entraînait l’essor de certains phylums bactériens, précédemment identifiés pour leur potentiel de survie à des basses températures.

Là où l’étude israélienne devient originale est lorsqu’elle observe ces changements microbiotiques chez chacune des deux familles de poissons, plus ou moins sensibles au froid. Par toute une série d’analyses statistiques mesurant la diversité du microbiote, la similarité de sa composition chez différents individus soumis aux mêmes conditions expérimentales, sa stabilité lors de la baisse de température, ou encore les modifications subies par certains familles particulières de bactéries, ils ont pu montrer que les poissons les plus sensibles au froid voient leur microbiote changer de façon plus drastique lorsqu’ils sont soumis à une baisse de température. En d’autres termes, plus le poisson est frileux, plus son microbiote est modifié profondément par une vague de froid ! Les microbiologistes israéliens ont ainsi montré que le bagage génétique de l’hôte influence la composition du microbiote qu’il héberge, et que la réponse de l’hôte à un stress environnemental et celle de son microbiote sont liées. Ces constations vont bien dans le sens d’une co-évolution du couple hôte-microbiote face au froid, et renforce l’hypothèse d’un holobionte qui a évolué conjointement. Reste à déterminer dans quel sens cette relation réciproque s’est établie, et si c’est le poisson frileux qui a provoqué des changements dans son microbiote, ou bien si c’est un microbiote plus adapté au froid qui a entraîné une adaptation du poisson.

Source : F. Kokou et al., Host genetic selection for cold tolerance shapes microbiome composition and modulates its response to temperature, eLife, 20 novembre 2018.

Crédit photo : Rusty Clark – Flickr (CC BY 2.0).