Pourquoi certains pays ont opté pour la démocratie quand d’autres populations subissent depuis des décennies l’oppression de régimes autoritaires ? Cette question, longtemps réservée à la sphère des politistes, apparaît sous un jour nouveau en étant abordée par des chercheurs d’autres disciplines. Suivant les traces de Jared Diamond qui, dans son essai intitulé De l’inégalité parmi les sociétés, pointait l’importance de l’environnement sur le devenir des civilisations humaines, des biologistes de l’université du Nouveau-Mexique (États-Unis) ont suggéré que des considérations écologiques pourraient entrer en ligne de compte dans le choix du régime politique d’un pays. Ils ont ainsi formulé en 2007 une curieuse hypothèse : la démocratie s’épanouirait mieux loin des maladies infectieuses ! Cette hypothèse dite du “stress parasitaire”, lequel favoriserait l’autoritarisme, semble aujourd’hui confirmée par les travaux d’une équipe de l’université de la Colombie-Britannique (Canada), versant cette fois-ci dans la psychologie sociale.

Bactéries, virus et autres vers parasites ont-ils une influence sur la nature du régime politique qui se met en place dans un état ? Pour le savoir, Damian Murray et ses collègues ont comparé le destin politique de 31 pays, de l’Australie au Zimbabwe en passant par la Grèce. Pour chaque pays, les mœurs politiques ont été évaluées à partir de plusieurs indicateurs émanant notamment d’organisations américaines comme la Freedom House et la Fondation Heritage. L’originalité de cette étude est de s’être intéressée aux comportements individuels en estimant l’autoritarisme des citoyens via l’échelle du fascisme proposée par Theodor Adorno en 1950.

La peur de l’infection favorise le repli individualiste et conservateur

Mycobacterium leprae, le bacille de Hansen responsable de la lèpre, meilleur agent des dictateurs ?

Qu’en déduisent les psychologues canadiens ? Que l’autoritarisme d’un pays est corrélé à la prévalence d’une série de neuf pathogènes (parmi lesquels le paludisme, le typhus, la lèpre et la leishmaniose). Il en va de même pour les tendances individuelles à l’autoritarisme, qui sont également liées au niveau d’éducation moyen ou encore au PIB par habitant. Les sceptiques des corrélations auront beau jeu de rappeler que les pastafariens ont pu relier le réchauffement climatique à la disparition des flottilles de pirates et qu’il est donc difficile de déduire quoi que ce soit d’une telle observation statistique. Pour cela, les chercheurs ont poussé plus avant l’analyse de leurs données : ils ont alors établi que l’impact du “stress parasitaire” sur la forme de gouvernement est principalement dû à son influence sur l’inclinaison de chacun à l’autoritarisme. La relation de cause à effet entre prévalence infectieuse et gouvernement autoritaire semble donc médiée par les comportements individuels valorisant un tel autoritarisme, et non la situation inverse, où la nature politique pèserait sur les conduites personnelles.

En se basant sur un atlas anthropologique, le Standard Cross Cultural Sample établi en 1968, les chercheurs canadiens ont établi le même genre de corrélations chez des tribus aborigènes de plusieurs continents, renforçant encore le lien de causalité entre infection et autoritarisme du gouvernement via des considérations individuelles et non collectives, issues de modèles politiques modernes. Pour les psychologues, l’hypothèse sous-jacente à la théorie du “stress parasitaire” est que «la perception subjective du risque d’infection entraîne les individus vers des comportements plus conformistes et dociles, les poussant également à se comporter de façon plus négative envers ceux qui ne suivent pas les règles et à adopter des attitudes socio-politiques plus conservatrices». Certaines études ont de même lié le sentiment de vulnérabilité à une infection à des comportements ethnocentriques et xénophobes.

Le sixième des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement adoptés en 2000 par l’ONU, qui vise à faire reculer les infections dans le monde, aurait non seulement de grandes conséquences sanitaires, mais pourrait ainsi favoriser une révolution démocratique dans les pays autoritaires, en contribuant au changement des mentalités. Le vaccin contre le VIH, meilleur antidote contre la dictature ?

Source : D.R. Murray et al., Pathogens and Politics: Further Evidence That Parasite Prevalence Predicts Authoritarianism, PLoS ONE, 1er mai 2013.

Crédit photo : Sokwanele – Zimbabwe – Flickr (CC BY-NC-SA 2.0) ; Public Health Image Library – Wikimedia Commons.