Vous êtes nuls aux fléchettes et ratez immanquablement le mille (voire la cible) ? Ne manquez pas la dernière étude menée par une équipe de l’université d’Osaka (Japon) qui a décortiqué les différentes stratégies gagnantes pour devenir un pro des darts (terme retenu par la fédération française de ce sport, qui ne devrait pas rejoindre l’élite des sports olympiques avant les JO de 2024). Les chercheurs japonais ont pour cela comparé les performances de huit experts et huit novices dans les conditions homologuées : une cible à 1,73 m du sol, distante de 2,44 m, avec en son centre une “bulle” (bull’s eye en anglais) de 4,4 cm de diamètre. Quelle est la meilleure technique pour planter sa fléchette dans la bulle à tous les coups ?
Chaque participant – qui a lancé à 60 reprises sa fléchette – était équipé de plusieurs capteurs, au niveau de l’épaule, du coude, du poignet, des articulations métacarpo-phalangiennes (AMP) et de l’extrémité de son index : une caméra rapide filmant à 480 images par seconde permettait de suivre avec précision le mouvement du bras qui propulse la fléchette. À partir d’une équation modélisant la trajectoire de la fléchette une fois lancée, il est alors possible de prédire sa position finale sur la cible pour un lancer qui interviendrait à n’importe quel moment du mouvement de bras du lanceur. Ces extrapolations permettent notamment de déterminer le moment optimal pour le lancer, c’est-à-dire celui qui envoie la fléchette au centre exact de la bulle. Les chercheurs japonais ont ainsi calculé pour chaque lancer l’erreur temporelle (notée Et), égale au délai séparant le lancer réel du lancer optimal. Un autre paramètre important est la fenêtre temporelle, notée TSZ (Time in Success Zone), pendant laquelle un lancer permet au joueur d’atteindre la bulle. Cette fenêtre dépend du mouvement de la main imprimé par le lanceur : plus elle est importante, plus celui-ci peut être imprécis dans le moment de son lancer et compenser ainsi une grande erreur temporelle.
Deux stratégies gagnantes pour viser la bulle
Première constatation : les experts sont bien meilleurs que les novices, avec une erreur moyenne environ trois fois plus faible (de l’ordre de 20 mm) et un taux de succès supérieur à 60 % contre moins de 30 % pour les novices. “Selon ces deux critères, le plus mauvais expert a obtenu de meilleurs résultats que le meilleur novice. Ceci confirme que l’entraînement permet d’améliorer la précision du lancer“, concluent les auteurs. Comment expliquer ces écarts ? Les novices échouent souvent car ils accumulent deux sources d’imprécisions : leur lancer présente à la fois un faible TSZ (car leur mouvement ne pointe pas précisément vers la bulle mais un peu au-dessus ou au-dessous, comme on peut le voir sur cette figure) et une importante erreur temporelle, le lancer ne s’effectuant pas au moment opportun. En d’autres termes, le mouvement de bras des novices leur offre peu de chances de réussir, et leur lancer est trop fluctuant pour saisir ces maigres opportunités.
Lorsqu’on observe les performances des experts, on remarque tout d’abord que les mouvements lors du lancer sont beaucoup plus stables entre deux tentatives, l’entraînement ayant conduit à mémoriser le bon geste. Les chercheurs japonais ont toutefois découvert deux types de joueurs de fléchettes. D’un côté, certains experts réalisent d’excellentes performances grâce à une grande fenêtre temporelle leur permettant d’atteindre la bulle, ce qui leur autorise une plus grande imprécision sur le moment du lancer, laquelle atteint des valeurs voisines de celles mesurées chez les novices. D’un autre côté, des experts présentent la même petite fenêtre temporelle que les novices (car le sommet de la courbe représentée dans la figure ci-dessus se situe en dehors du centre de la cible), mais ils compensent ce défaut par une erreur temporelle au moment du lancer très faible, de l’ordre de la milliseconde. Deux stratégies gagnantes se dessinent donc pour planter sa fléchette dans le mille : avoir un mouvement de bras qui garantit une grande probabilité d’atteindre la bulle, ce qui permet de compenser une plus grande variabilité dans le moment du lancer, ou alors avoir un contrôle précis du timing pour lancer la fléchette.
Saiki Nasu et ses collègues ont d’ailleurs noté que les deux meilleurs joueurs de l’étude ont chacun adopté une stratégie différente. Comment expliquer que les joueurs les plus experts ne choisissent pas tous la même stratégie ? Les auteurs de l’étude pointent une différence entre les deux techniques : si la première permet de compenser une plus grande variabilité du moment du lancer d’une tentative à l’autre (les études physiologiques indiquant que le contrôle d’une telle action motrice se situe plus souvent autour de quelques millisecondes), elle nécessite un mouvement qui entraîne une plus grande probabilité de manquer la cible, car il ne passe pas au-dessus de la cible et ne croise donc pas à tous les coups la zone de réussite. “Dans cette étude, la stratégie choisie par le lanceur pourrait refléter son attitude individuelle envers le risque de produire des trajectoires perdantes“, selon les chercheurs japonais. L’entraînement assidu des mordus de fléchettes ne les immunise pas tous contre la peur de rater le mille.
Source : D. Nasu et al., Two Types of Motor Strategy for Accurate Dart Throwing, PLoS ONE, 12 février 2014.
Crédit photo : acearchie – Flickr (CC BY-ND 2.0).