À l’occasion, des médecins tentent de reconstituer le dossier médical de patients depuis longtemps disparus, faisant alors s’entrecroiser histoire et sciences. Ainsi, une récente étude a montré que l’athérosclérose, maladie artérielle que l’on pensait associée à notre régime hypercalorique contemporain, frappait déjà les Égyptiens momifiés il y a 4 000 ans. Un examen attentif du rapport d’autopsie de Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, fait dire aujourd’hui à des médecins californiens que le leader de la Révolution d’Octobre aurait été emporté prématurément, à l’âge de 53 ans, par une maladie génétique rare. De même, de nombreux médecins ont tenté de percer le mystère de la maladie qui a poussé Vincent Van Gogh à se couper l’oreille. Suivant cette tradition, une équipe de neurologues s’est penchée sur une singularité observée dans de nombreuses œuvres d’art représentant le Christ sur la croix : la posture particulière de ses mains clouées. Faut-il y voir un message religieux ou le signe d’un trouble neurologique ?

Apparue dans l’Empire perse au cinquième siècle avant notre ère, le crucifiement s’est progressivement répandu dans tout le pourtour méditerranéen, sous l’impulsion d’Alexandre le Grand. Ce châtiment est ensuite devenu sous l’Empire romain un mode d’exécution répandu pour punir esclaves, pirates, prisonniers de guerre et autres criminels étrangers, avant d’être interdit par l’empereur Constantin Ier en 337. Cette méthode particulièrement cruelle est restée “célèbre” comme le mode d’exécution de Jésus de Nazareth. Le Christ en croix est depuis lors l’une des figures les plus fréquentes de l’iconographie chrétienne. Parmi les innombrables représentations du crucifiement de Jésus, un détail, retrouvé dans un grand nombre d’œuvres d’époques, de cultures et de styles différents, a intrigué Jacqueline Regan, de l’hôpital Inova Fairfax de Falls Church, en Virginie (États-Unis) et ses collègues : les mains du Christ adoptent une position particulière, l’auriculaire et l’annulaire complètement pliés, le majeur l’étant partiellement contrairement à l’index et au pouce, tendus.

Tout est une histoire de nerfs

Le nerf ulnaire aboutit dans l’annulaire et l’auriculaire, alors que le nerf médian innerve pouce, index. Le majeur possède quant à lui deux terminaisons nerveuses.

Cette posture singulière des doigts de la main serait une conséquence directe de la crucifixion, selon les neurologues américains. La position du corps adoptée sur la croix (les deux bras en l’air, les épaules formant un angle d’environ 135°) cause une forte contrainte mécanique sur un nerf traversant le bras jusqu’aux extrémités de certains doigts : le nerf médian. Cette pression sur le nerf médian peut compromettre la circulation sanguine, comme cela a été montré chez des rats et des lapins ; cette ischémie, si elle est prolongée, dégrade à son tour la fonction de certains nerfs périphériques et entraîne in fine la dénervation de certains muscles de l’avant-bras. Ces défauts nerveux, causés non pas directement par le clou, planté dans la chair entre les os métacarpiens, mais par la position contrainte du corps sur la croix, se traduisent par l’incapacité de fléchir le pouce, l’index et le majeur. En revanche, le fonctionnement du nerf ulnaire n’est pas entravé par la crucifixion : le crucifié garde le contrôle de ses annulaire et auriculaire. Le majeur, innervé à la fois par le nerf ulnaire et le nerf médian, ne conserve lui qu’une capacité de flexion partielle. Le tableau neurologique dressé par les médecins américains permet de retrouver très exactement la posture de la main qu’adopte Jésus sur ces tableaux.

Les neurologues américains ne sont pas les premiers à s’intéresser de près à la crucifixion. Leurs travaux s’inscrivent dans une longue suite de recherches, parmi lesquelles celles de Frederick Zugibe, qui n’a pas hésité en 1989 à accrocher des cobayes humains sur une croix pour comprendre la cause finale de la mort : asphyxie, arrêt cardiaque ? L’expert de médecine légale penchant finalement pour la “théorie du choc”. Jacqueline Regan et ses collègues ont semble-t-il été tentés de suivre la même voie expérimentale pour confirmer leur hypothèse neurologique mais “des considérations éthiques rendent cette option déraisonnable“. Loués soient-ils !

Source : J.M. Regan et al., Crucifixion and median neuropathy, Brain and Behavior, 18 mars 2013.

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