Comment écrancher un vêtement, c’est-à-dire en enlever les faux plis ? Avec un fer à repasser, répondrez-vous instinctivement. Mais comment cet appareil, qui répond au besoin des ménages depuis plusieurs siècles (l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert en fait mention à la seconde moitié du XVIII° siècle), permet de lisser les tissus ? D’après les physiciens, trois paramètres garantissent un repassage efficace : la température (Félix se rappelle encore du coup de fer porté par Zézette), le poids et l’humidité, fournie par la vapeur d’eau. C’est à ce dernier aspect que des chercheurs français, menés par Lydéric Bocquet de l’université Lyon 1, se sont intéressés dans un article publié dans la revue Soft Matter.
Pour faire des expériences, encore faut-il un système modèle. La première étape de l’étude a donc été de former des “plis” reproductibles : le tissu, posé sur un support percé d’un trou de taille déterminée, est attaché à un poids qui l’entraîne à travers la fente. Un pli est ainsi formé, dont l’angle dépend des propriétés intrinsèques du matériau, comme son épaisseur, mais aussi de la largeur de la fente par laquelle le tissu passe. Ce pli est qualifié de plastique car il persiste après l’effort appliqué sur le tissu (à la différence d’une déformation élastique, qui ne dure que le temps de l’application de la force, comme par exemple pour un ressort). Et c’est bien là tout le problème… le faux pli dure !
Une fois ces plis formés, reste à comprendre comment les défaire. L’observation des tissus ainsi déformés montre que les plis s’ouvrent de façon spontanée, mais lentement : l’angle formé sur un tissu en fibres de polyester passe de 60° à 50°… en trois heures, ce qui justifie pleinement le fait de repasser les vêtements plutôt que d’attendre que les faux plis se résorbent d’eux-mêmes. L’humidité apportée par le repassage joue-t-elle un rôle dans la vitesse d’ouverture des plis ?
La vapeur jette des ponts entre les fibres
Les physiciens ont comparé trois “tissus” : le lin, une fibre végétale qui a tendance à se froisser facilement, le polyester, un tissage de fibres plastiques, et une feuille “pleine” du même matériau. La relaxation spontanée des plis est observée pour différents degrés d’humidité. Conclusion des auteurs : “la réouverture du pli est beaucoup plus rapide lorsque l’humidité est importante“, l’effet étant encore plus fort pour le lin que pour le tissu en fibres de polyester, mais inexistant pour la feuille pleine en polyester. Ces résultats suggèrent que la nature chimique du matériau n’est pas en jeu ici, mais plutôt la structure tissée en fibres entrecroisées, ce qui expliquerait le comportement similaire du lin et du tissu polyester.
Comment la vapeur modifie-t-elle le comportement du tissage ? En formant des ponts liquides, appelés ponts capillaires, entre les fibres, proposent les physiciens français, qui indiquent que la dynamique de formation de ces ponts reproduit celle de l’ouverture des plis dans un environnement humide. L’impact de la vapeur sur les faux plis des tissus est selon eux “une autre manifestation de l’impact des ponts liquides nanométriques sur les propriétés mécaniques des matériaux à une bien plus grande échelle“. En effet, un même phénomène a été mis en évidence par la même équipe en 1998 dans les milieux granulaires, comme le sable : dans un milieu humide, des ponts liquides se forment entre les grains de sable, modifiant la structure du tas de sable et augmentant sa cohésion (une démonstration en vidéo ici). Les châteaux de sable sont pour cette raison construits avec du sable humide et non sec, afin qu’ils tiennent debout. Pensez donc aux châteaux de sable devant votre planche à repasser, ce qui rendra à coup sûr l’activité plus ludique !
Source : A. Benusiglio et al., The anatomy of a crease, from folding to ironing, Soft Matter, 10 février 2012.
Crédit photo : David Robert Wright (CC BY-NC-ND 2.0) ; Emmanuelle rio slr (CC BY-SA 3.0).