Ne parle pas aux inconnus dans la rue !” De nombreux enfants ont entendu cette mise en garde de la part de leurs parents : il est en effet de coutume de se méfier des personnes qui ne nous sont pas familières, un comportement également rencontré chez d’autres animaux qui privilégient eux aussi la coopération avec leurs congénères. S’intéressant à un petit poisson tropical, le labre nettoyeur commun (Labroides dimidiatus), des zoologistes ont révélé un comportement inverse : les femelles s’avèrent favoriser les mâles qu’elles ne connaissent pas par rapport à leurs partenaires habituels. Une civilité qui détonne dans le monde animal…

Ces poissons nettoyeurs nouent des relations mutualistes avec d’autres poissons, plus gros, sur lesquels ils se nourrissent d’ectoparasites, lesquels se logent sur leur peau, mais surtout de mucus, qu’ils préfèrent. Qu’advient-il lorsqu’un couple se bagarre pour un même “client” pourvoyeur de parasites ? Plutôt qu’une attitude de réciprocité positive, où l’un des poissons laisserait la meilleure part à son partenaire en espérant une attitude bienveillante par la suite, Labroides dimidiatus adopte une stratégie de “punition asymétrique” : la femelle qui dévore en premier le mucus est agressée par le mâle voisin, qui la renvoie ainsi aux autres parasites, moins savoureux. Comment cette relation alimentaire évolue lorsque les poissons ne sont pas “familiers” ?

Les femelles plus dociles face aux mâles inconnus, plus agressifs

Pour le savoir, les zoologistes ont capturé dans les eaux de l’île de Lézard, au nord de l’Australie, des couples de poissons nettoyeurs, et ont étudié en laboratoire leurs comportements face à des poissons nourriciers “factices”, présentant côte à côte deux sources de nourriture plus ou moins appétissantes. Mises en présence de mâles qu’elles ne connaissent pas, les femelles s’avèrent plus galantes qu’avec leurs partenaires habituels, les laissant plus souvent se nourrir à la meilleure source alimentaire. À l’opposé, les chercheurs ne détectent aucune différence dans l’alimentation des mâles en fonction des femelles avec lesquelles ils sont appariés : comme le rappellent les auteurs, “les femmes poissons nettoyeurs sont subordonnées aux mâles et ne punissent pas leurs partenaires s’ils les “trompent” (en choisissant la meilleure nourriture de façon égoïste)“, ces derniers ne craignant donc aucune représailles de leurs associées, familières ou non.

Comment expliquer ce comportement étonnant des poissons nettoyeurs, qui se révèlent plus favorables aux congénères inconnus qu’à ceux appartenant à leur “communauté” ? Les mâles s’avèrent plus agressifs envers les femelles inconnues, les contraignant à céder leur nourriture favorite. Cette “punition” infligée par le poisson mâle représente néanmoins un coût, car comme le rappellent les zoologistes solidaristes, “faire du tort à son partenaire, c’est dans une certaine mesure se faire soi-même du tort“. Cet “investissement” se doit donc d’être rentable, en rendant par exemple la partenaire plus docile dans la future répartition de la nourriture au sein du couple. Dans cette hypothèse, le mâle devrait adopter une attitude coopérative vis-à-vis de la femelle qu’il rencontrera de nouveau à l’avenir (en l’agressant…). Pourtant, les observations indiquent la tendance inverse.

Les chercheurs avancent une explication : non seulement la femelle modifie très rapidement d’attitude suite à une agression, mais elle ne garde aucune mémoire, au-delà de trente minutes, du comportement de son partenaire, comme l’atteste la successions d’expériences avec le même couple de poissons. Les mâles n’ont donc aucun “intérêt” à long terme à infliger des punitions répétées à leurs partenaires puisqu’elles ne modifieront pas durablement leur comportement. À court terme, par contre, il est utile pour un couple récemment formé d’user de moyens coercitifs pour assurer une répartition de nourriture favorable au mâle. Cette coopération par “punition asymétrique” fait qu’il est plus intéressant pour les mâles d'”investir davantage dans la punition de partenaires qui ne leur sont pas familiers“. L’esprit de clocher fait donc que les mâles sont plus avenants envers les femelles de leur communauté, mais que ces dernières, subissant les foudres de hordes étrangères, répondent favorablement aux demandes du dehors.

Source : NJ. Raihani et al., Female cleaner fish cooperate more with unfamiliar males, Proc. R. Soc. B, 22 février 2012.

Crédit photo : Klaus Stiefel (CC BY-NC 2.0).