Si un dicton populaire affirme qu’il y a plus de vieux ivrognes que de vieux médecins, la médecine moderne nous apprend plutôt à nous méfier des abus d’alcools, dangereux pour la santé, comme nous le rappelle les publicités. Des chercheurs de l’université Emory à Atlanta (États-Unis) se sont néanmoins penchés sur les vertus potentielles de l’éthanol… chez la fameuse mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster, marotte des biologistes comme des physiciens (certains s’amusant par exemple à la faire léviter). Ses larves, menacées par des infections parasitaires, se protégeraient en consommant de l’alcool, issu de la fermentation des fruits pourris dans lesquels elles logent.

Certaines guêpes appelées endoparasitoïdes viennent en effet pondre des œufs dans les larves de drosophile, formant autant de parasites qui se développent à l’intérieur de l’hôte à son détriment ; c’est le cas par exemple de la guêpe Leptopilina boulardi. Face à ses infections parasitaires, la mouche présente un mécanisme de défense immunitaire appelé encapsulation : des cellules appelées lamellocytes viennent former une capsule entourant l’œuf qui ne peut grossir et finit par s’éteindre. Mais les chercheurs ont découvert que lorsque les mouches se nourrissent d’éthanol (à des taux de l’ordre de 6 %, similaires à ceux d’un fruit pourri ou d’un vin léger), le mécanisme d’encapsulation ne fonctionne pas, la production de lamellocytes ayant tendance à diminuer. Pourtant, les larves se portent bien et le nombre d’œufs de guêpe diminue… Les mouches semblent donc s’accommoder d’un environnement alcoolisé et le mettre à profit dans leur lutte contre l’infection.

De l’auto-médication chez les insectes ?

Leptopilina boulardi, une guêpe parasitoïde, ennemi de la mouche du vinaigre.

L’effet protecteur de l’éthanol paraît indirect, le niveau d’alcool mesuré dans l’hémolymphe (l’équivalent du sang chez les insectes) n’étant pas significativement plus élevé chez les mouches élevées dans un environnement alcoolisé. Les chercheurs émettent donc l’hypothèse d’un mécanisme plus complexe, l’alcool entraînant la production d’une toxine à usage thérapeutique dont la nature reste à préciser par une analyse de la composition de l’hémolymphe des larves infectées et avinées. D’autres organismes utilisent cette même stratégie préventive : leur alimentation fournit des toxines qui les protègent d’agresseurs extérieurs.

Mais ici, la situation serait plus complexe : les larves cherchent activement l’alcool lorsqu’elles sont menacées par les guêpes parasitoïdes. Les biologistes américains ont en effet placé les larves infectées dans une boite de Pétri coupée en deux (une moitié fournie en éthanol, l’autre en étant dépourvue) : les larves initialement situées dans l’environnement contrôle se déplacent vers la zone alcoolisée en quelques heures. La présence des deux environnements côte à côte augmente les chances de survie des larves en même temps qu’elle diminue la probabilité de voir une guêpe parvenir à maturité. La situation semble plus favorable que lorsque la larve évolue dans un endroit entièrement alcoolisé, l’éthanol concentré pouvant être lui aussi dangereux pour la mouche. Pour les auteurs, “ces résultats montrent que, non seulement les mouches choisissent de consommer de l’éthanol en s’auto-médicant contre l’infection des guêpes, mais qu’elles équilibrent la prise d’éthanol pour limiter les effets toxiques sur elles-mêmes.

Cette découverte, la première de cette ordre, devrait sans doute être reproduite chez d’autres espèces, l’alcool étant un composé naturel répandu. Et pourquoi pas chez l’homme, les études scientifiques s’étant jusqu’alors focalisées sur les effets délétères de l’alcoolisme plutôt que sur ces éventuels bienfaits en terme de lutte contre les infections parasitaires ?

Source : NF. Milan et al., Alcohol Consumption As Self-Medication Against Blood-Borne Parasites In The Fruitfly, Current Biology, 16 février 2012.

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