Nous ne sommes pas les seuls animaux à craindre les rayonnements ultraviolets (UV), qui frappent la surface de notre planète avec d’autant plus d’intensité que la couche d’ozone s’amincit : poissons, amphibiens et invertébrés sont eux aussi sujets aux coups de soleil ! Il faut également ajouter à cette liste d’espèces photosensibles les cétacés, cet ordre de mammifères aquatiques regroupant baleines, dauphins, marsouins et autres cachalots. Laura Martinez-Levasseur et Karina Acevedo-Whitehouse, de l’Institut de zoologie basé à Londres (Royaume-Uni), avaient alerté les premières sur le danger encouru par les cétacés dans une première étude publiée en 2010. Elles mènent aujourd’hui aux côtés d’une équipe internationale de zoologistes de nouvelles investigations pour mieux comprendre les mécanismes de protection de ces mammifères qu’ils surnomment les « baromètres à UV des océans », en raison de leur répartition géographique étendue et de leur longévité record (un rorqual de plus de 130 ans s’est échoué sur les côtes danoises en 2010).

Chez l’homme comme chez les autres animaux, les rayonnements UV peuvent causer différentes lésions et mutations de la molécule d’ADN, provoquer la cancérisation des cellules de la peau (parmi lesquelles les mélanocytes) et mener in fine à la formation de mélanomes, le cancer cutané le plus agressif. Pour étudier l’impact des UV sur la peau des cétacés, les chercheurs se sont intéressés plus particulièrement aux lésions de l’ADN mitochondrial. Cette molécule est encapsulée non pas dans le noyau mais dans un organite cellulaire appelé mitochondrie, responsable de la production énergétique de la cellule. Présentant un plus grand taux de mutations et de plus faibles capacités de réparation que l’ADN nucléaire, l’ADN mitochondrial constitue un bon marqueur de l’influence des UV sur la physiologie cutanée. L’étude a comparé la réaction aux UV de trois espèces – le grand cachalot (Physeter macrocephalus) ainsi que la baleine bleue (Balaenoptera musculus) et le rorqual commun (Balaenoptera physalus), les deux plus grandes espèces vivantes – à partir de plusieurs dizaines de biopsies de peau prélevées dans le golfe de Californie entre les mois de janvier et de juin des années 2007 à 2009.

Différentes stratégies pour s’adapter au soleil brûlant du Mexique

La peau des baleines bleues s’adapte au changement de saison, et à l’exposition aux UV associée, en produisant plus de mélanine : les cétacés bronzent.

Première constatation : les dommages causés à l’ADN mitochondrial sont d’autant plus importants que la peau des cétacés contient peu de mélanocytes et peu de mélanine (le pigment, produit par ces mélanocytes, responsable de la couleur foncée de la peau). Ainsi, pour les chercheurs, « la mélanisation protège les animaux tels que les baleines contre l’exposition aux rayons UV, à une échelle moléculaire et cellulaire ». Enfin, l’ADN des cétacés les plus âgés contient plus de lésions, attestant d’une accumulation des dégâts causés par les UV au cours du temps.

Au-delà l’impact des UV sur l’ADN mitochondrial, les zoologistes se sont penchés sur les mécanismes cellulaires activés par les cétacés en réaction à cette exposition. Ils ont alors mis en évidence des stratégies différentes entre les trois espèces observées. Ainsi, chez la baleine bleue, l’ensoleillement croissant entre février et mai est associé à une prolifération accrue des mélanocytes et à une augmentation de la production de mélanine. Cette pigmentation saisonnière des baleines bleues se traduit bien par une protection plus efficace de l’ADN mitochondrial face aux UV mutagènes. En d’autres termes, exposées aux rayons du soleil, les baleines bleues “bronzent” ! Cette teinte estivale n’est en effet pas l’apanage des humains, et a déjà été observée chez les requins-marteaux ou même chez le zooplancton. Les rorquals, naturellement plus foncés, ne bronzent pas ; pour les zoologistes, leur peau sombre les protège déjà de façon efficace contre le soleil, comme en atteste le faible nombre de lésions cutanées observées chez cette espèce.

Quant au grand cachalot, les chercheurs ont mesuré une expression plus forte de deux gènes par rapport aux baleines et aux rorquals, avec un pic en mars-avril, au moment où l’exposition aux UV est la plus forte. L’un de ces gènes code une protéine de stress qui protège les composants de la cellule contre les agressions externes, et l’autre est suspecté d’être impliqué dans les mécanismes de réparation de l’ADN. Pourquoi ce métabolisme différent du grand cachalot ? Car ce dernier passe plus de temps à la surface que la plupart des espèces de cétacés : plus exposé aux rayonnements UV, il aurait développé des mécanismes de protection spécifiques pour se protéger du soleil, s’adaptant ainsi aux contraintes d’un comportement potentiellement nuisible à sa peau.

Source : L.M. Martinez-Levasseur, Whales Use Distinct Strategies to Counteract Solar Ultraviolet Radiation, Scientific Reports, 30 août 2013.

Crédit photo : NOAA Photo Library – Wikimedia Commons (CC BY 2.0).