Par sa décision du 7 septembre, la cour d’appel de Paris vient de clore le dossier des retombées du nuage de Tchernobyl. Si la justice n’a pas su trancher sur l’impact sanitaire de la catastrophe de 1986, la présence après le passage du nuage de particules radioactives est attestée dans les sols français. Cette radioactivité a-t-elle contaminée l’ensemble de la chaîne alimentaire ? Les habitants de la région de Fukushima se posent aujourd’hui les mêmes questions, tout comme les riverains des mines d’uranium qui alimentent les centrales nucléaires. Pour dépolluer ces sols contaminés, des chercheurs de l’université du Michigan (États-Unis) proposent l’aide d’un allié étonnant : une bactérie.

Geobacter sulfurreducens – c’est son nom – est capable de faire précipiter l’uranium soluble que l’on retrouve dans les nappes phréatiques au voisinage des mines d’uranium : ainsi, la radioactivité pourrait être fixée dans les sédiments. Comment la bactérie opère ? Elle abrite une réaction chimique de réduction, lors de laquelle l’uranium soluble, noté U(VI), gagne deux électrons pour devenir l’uranium U(IV). Sous cette forme dite tétravalente, l’atome d’uranium se lie à d’autres molécules : devenu ainsi moins soluble, l’uranium va précipiter. La bactérie guide cette modification de l’atome radioactif (on parle alors de catalyse). Afin de tenir éloigné ce matériau potentiellement toxique, elle a développé une stratégie : la réduction de l’uranium se déroule au niveau des pili, des filaments longs de plusieurs micromètres (le corps de la bactérie mesure environ 3 micromètres), protégeant ainsi le corps cellulaire des rayonnements.

Des filets réducteurs

L’uranium U(VI), soluble, est réduit au niveau des pili et des c-cytochromes ancrés dans la membrane externe de la bactérie.

Pour démontrer le rôle central joué par ces filaments, les biologistes américains ont étudié des bactéries “poilues” et des bactéries rendues “imberbes” soit par une baisse de la température (qui empêche la croissance des pili), soit par une modification génétique (qui bloque la production d’une protéine constitutive du pilus). La concentration en uranium VI dans le milieu diminue bien plus fortement lorsque les bactéries présentent des pili. Dans ce cas, des agrégats apparaissent d’un seul côté de la bactérie : ces dépôts composés d’uranium U(IV) sont emmêlés dans les pili, qui ne recouvrent en effet qu’un des côtés de Geobacter.

Une observation plus fine des cellules sans pilus montre qu’elles réduisent aussi l’uranium en U(IV), directement au niveau de leur membrane externe (la bactérie a deux membranes). Ici, la réaction est catalysée par des molécules nommées c-cytochromes : elles ne semblent toutefois constituer qu’un site secondaire de piégeage de l’uranium sous sa forme U(IV), l’empêchant de traverser la membrane externe et de pénétrer plus près du centre de la bactérie où elle causerait des dégâts.

En réduisant l’uranium loin de la bactérie, les pili protègent ses fonctions vitales et préservent sa viabilité : l’intervention des pili dans la réduction de l’uranium constitue donc un avantage adaptatif écologique de la bactérie Geobacter sulfurreducens. Cette réaction de réduction est en effet essentielle, le transfert d’électrons entre les deux formes d’uranium intervenant dans le cycle respiratoire, et donc dans la croissance cellulaire. En ce qui conserve leur utilisation pour la bioremédiation des sols pollués par des déchets radioactifs, la grande surface réactive des pili permet à chaque bactérie d’enlever une quantité importante d’uranium soluble, accélérant la décontamination radioactive.

Source : D. Cologgi et al., Extracellular reduction of uranium via Geobacter’s conductive pili as a protective cellular mechanism, PNAS, 6 septembre 2011.

Crédits photo : Dena Cologgi et Gemma Reguera (Michigan State University).