Un tableau couvert d’équations mathématiques vous donne des boutons, voire pire, vous fait souffrir physiquement ? Deux psychologues de l’université de Chicago (États-Unis), spécialistes de ce que l’on appelle l’anxiété liée aux mathématiques, révèlent dans une étude publiée dans PLoS ONE la réalité neuronale de cette somatisation. Un exemple qui devrait aider à comprendre “comment des situations physiquement inoffensives peuvent entraîner une réponse neuronale reflétant une douleur physique réelle“, avancent les chercheurs.
L’anxiété liée aux mathématiques (notée par la suite AM) est décrite par le psychologue Mark Ashcraft comme “un sentiment de tension, d’appréhension, de peur qui interfère avec les performances en mathématiques“. Pour comprendre comment le cerveau de ces personnes réagit face à un problème d’algèbre, Ian Lyons et sa collègue Sian Beilock ont mesuré leur activité cérébrale grâce à la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de détecter les aires corticales activées dans diverses situations. Les cobayes étaient ainsi soumis à deux tests, annoncés chacun par un signal lumineux distinctif. Le premier test, mathématique, demandait de vérifier l’exactitude d’une formule du type 7 x 6 – 16 = 28. Le second test était lexical : chaque personne devait dire si une expression comme erèstym correspondait à un mot épelé à l’envers. Les personnes souffrant d’AM obtiennent des résultats plus mauvais pour l’épreuve de mathématique que pour le test lexical (plus d’erreurs et temps de réaction supérieur). Comment ces mauvaises performances se traduisent au niveau cérébral ?
“L’attente est plus dure à supporter que le feu” (proverbe arabe)
L’activité cérébrale était mesurée pendant toute l’expérience, que ce soit pendant les tâches cognitives ou les phases d’attente, dites d’anticipation (le cobaye sachant quelle tâche l’attend grâce au signal lumineux). Les deux psychologues américains avaient en effet montré dans une précédente étude datant de 2011 que cette phase d’anticipation est cruciale, l’activité cérébrale des personnes souffrant d’AM pendant cette période étant liée aux performances mathématiques à suivre. Ainsi, l’IRMf donnait “une preuve neuronale que la relation négative typiquement observée entre l’anxiété liée aux mathématiques et les compétences apparaît même avant que la performance d’un exercice commence“, via la mobilisation préalable des régions fronto-pariétales inférieures, associées au contrôle cognitif, qui modulent la réaction face à l’objet de l’anxiété, le problème mathématique.
Cette fois-ci, ils ont observé que quatre aires cérébrales, dont les insula dorsales postérieures (INSp) et le cortex cingulaire moyen (MCC), s’activent pendant cette phase d’anticipation chez les personnes souffrant d’AM. L’activité accrue de ces régions corticales, liées à la douleur viscérale, n’est pas liée à une anxiété globale plus forte, ou à de piètres performances en mathématiques ; elle semble due au seul fait d’anticiper un effort de calcul. Plus curieux encore : cette activation des aires corticales, sièges de la douleur, n’apparaît pas au moment du test, mais uniquement pendant les secondes qui précèdent les opérations mathématiques à effectuer. “En somme, une forte anxiété liée aux mathématiques présage d’une activité liée à la douleur accrue pendant l’anticipation d’un exercice mathématique, mais pas pendant l’exercice mathématique lui-même“, concluent les auteurs de l’étude. Seule l’attente fait souffrir, mais pas la résolution d’une équation ! Alors, si vous êtes paralysés à l’idée de noircir des feuilles d’équations, changez-vous les idées avant de foncer tête baissée dans le monde merveilleux des mathématiques.
Source : I.M. Lyons et S.L. Beilock, When Math Hurts: Math Anxiety Predicts Pain Network Activation in Anticipation of Doing Math, PLoS ONE, 31 octobre 2012 ; I.M. Lyons et S.L. Beilock, Mathematics Anxiety: Separating the Math from the Anxiety, Cerebral Cortex, 20 octobre 2011.
Crédit photo : Mike Hiatt – Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).