Le mois dernier, lors du colloque Les mathématiques à l’épreuve des sciences humaines et sociales, organisé par le laboratoire SAMM (Statistique, Analyse et Modélisation Multidisciplinaire) de l’université Paris 1, Marc Barthélémy, chercheur au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), a présenté une étude sur la dynamique de croissance des réseaux de métros urbains. En dépit des différences géographiques et économiques qui distinguent les grandes métropoles mondiales, l’analyse comparée de l’histoire des réseaux de métro révèle des traits communs. Elle illustre les règles d’évolution macroscopique de tels réseaux, et ouvre des pistes de réflexion pour l’étude d’autres réseaux de transport.

Marc Barthélémy et son collègue Camille Roth, en collaboration avec une équipe de l’université de Londres, ont étudié les réseaux de métro de douze grandes métropoles : Paris (en image à droite), Londres, Madrid, Berlin, Barcelone, Moscou, New York, Tokyo, Séoul, Mexico, Shanghai et Osaka. Ils ont consigné pour chacune de ces villes les dates d’ouverture des lignes, de leur extension, localisé les stations… Un travail rendu possible grâce à la richesse de l’encyclopédie Wikipédia à laquelle contribuent de nombreux passionnés du métro.

Ces métropoles possèdent toutes plus d’une centaine de stations : ce sont les nœuds du réseau, reliés par les lignes de métro. L’analyse géométrique de ces réseaux indique certaines différences. Ainsi, le réseau new-yorkais, le plus étendu et l’un des plus anciens, comporte 433 stations et 24 lignes : il paraît plus important que celui de Moscou, avec ses 12 lignes desservant 134 stations. Pourtant, ces deux réseaux s’étendent sur une superficie à peu près équivalente. En effet, dans ces deux métropoles, la distance entre deux stations varie du simple (780 mètres à New-York) au double (1,7 kilomètre à Moscou). Paris possède le réseau le plus dense, avec des stations distantes en moyenne de 570 mètres. Les physiciens ont également mesuré le degré d’interconnexion du réseau : il est élevé pour Osaka (de nombreuses correspondances sont permises) et faible pour Mexico ou New-York, des réseaux peu connectés (vous pouvez consulter les plans de métro du monde entier sur ce site). Ces différences topologiques peuvent être liées à l’histoire du réseau mais surtout aux contraintes géographiques de la métropole (la forme de l’île de Manhattan ou la rivière Hudson ont influencé la construction du réseau new-yorkais).

Les physiciens se sont plus précisément intéressés à l’évolution temporelle de ces réseaux, de la construction des premières lignes jusqu’à aujourd’hui. De prime abord, cette évolution semble elle aussi différer d’une métropole à l’autre, les réseaux ne se développant pas tous à la même vitesse. Le métropolitain parisien, conçu pour les Jeux Olympiques d’Été de 1900, s’est depuis étendu en moyenne de 2,6 stations par an. Le réseau de Shanghai est plus récent : inauguré en 1995, il compte déjà 148 stations pour 11 lignes, soit une croissance annuelle de près de 15 stations ! Cependant, l’analyse comparée des douze réseaux indique qu’après une grande période d’activité, la construction de nouvelles stations ralentit : le réseau semble atteindre un état limite d’extension. L’histoire des réseaux révèle d’autres points communs.

Chacun des réseaux étudiés est composé d’un cœur dense, ceinturé par une boucle, de laquelle parte des branches qui s’étendent vers l’extérieur de la métropole, en formant parfois des fourches.

Tous les réseaux se sont développés autour d’un cœur dense, délimité par une boucle (constituée d’une seule ou de plusieurs lignes distinctes) d’où partent des branches desservant la périphérie de la métropole. Le réseau croît principalement par l’allongement des branches : leur extension moyenne augmente avec le temps, pour atteindre 2,3 fois la taille du cœur en 2009. Il est étonnant de constater qu’alors que les branches s’allongent, le centre géométrique du réseau, appelé barycentre, ne bouge pratiquement pas : le réseau s’étend dans toutes les directions et continue à desservir le cœur resté fixe. 

La fraction de stations “branchées” tend pour la quasi-totalité des réseaux vers 35-45 %. Berlin, Moscou et Shanghai se distinguent : leurs réseaux desservant des banlieues éloignées, les branches, plus longues, contiennent en proportion plus de stations. Dans la grande majorité des cas, les physiciens observent qu’en parallèle de l’extension des branches du réseau, le réseau évolue en densifiant son cœur : la proportion de stations “branchées” reste ainsi stable. Deux axes de développement sont donc poursuivis en parallèle : l’extension des zones desservies par le prolongement des lignes, et la densification du centre du réseau afin d’améliorer l’interconnexion.

Marc Barthélémy et ses collègues ont noté une dernière analogie entre les réseaux. Alors que les stations du cœur du réseau sont uniformément réparties, les branches se caractérisent par une distance inter-stations qui augmente lorsque l’on s’éloigne du cœur. La densité de stations diminue donc lorsqu’on s’éloigne du cœur du réseau, phénomène observé dans les douze métropoles étudiées.

Cette étude montre, par l’exemple des métros de douze grandes métropoles à l’histoire différente, que l’évolution des réseaux de transports présente des caractéristiques communes, indépendamment des paramètres géographiques du territoire sur lequel ils se développent, et des conceptions économiques et sociales de leurs concepteurs. Elle permettra de guider les prochains programmes de développement urbain, comme celui en cours en France avec le Grand Paris Express qui doit voir le jour à partir de 2017. Elle pourra également s’appliquer à d’autres réseaux de transport : distribution d’électricité avec les smart grids, les réseaux électriques intelligents, ou propagation d’un virus, afin de modéliser les épidémies dans un contexte de forte densification des transports internationaux.

Source : C. Roth et al., Long-time limit of world subway networks, arXiv, 26 mai 2011.

Crédits photo : Nathan Kaufmann — Camille Roth et al.