À y regarder de près, la myxine apparaît bien menaçante, exhibant ses deux rangées de dents acérées. Pourtant, cette espèce marine est connue sous le surnom de “cochon des profondeurs” : elle a longtemps été rangée dans la catégorie des charognards, se nourrissant notamment des rebuts des bateaux de pêche. Cet ancêtre des premiers vertébrés (elle appartient à la famille des Crâniates, qui possèdent un crâne cartilagineux mais pas de colonne vertébrale), qui ressemble à une anguille longue de quelques dizaines de centimètres, perd ainsi de sa superbe. Pas pour tout le monde : à la tête d’une équipe océanienne, basée au musée Te Papa Tongarewa de Wellington (Nouvelle-Zélande), Vincent Zintzen observe ces “créatures fascinantes” (sic), dans leur environnement naturel. Les zoologues livrent un tout autre portrait de la myxine, capable de chasser des poissons et de se faire fuir ses prédateurs, dont certains requins !

Les observations ont eu lieu au large de trois petites îles du Nord de l’archipel de Nouvelle-Zélande, baptisées Aotea, Whakaari et Manawa-tawhi en langue māori. Larguées jusqu’à 1200 mètres de profondeur, deux caméras observent les environs d’un appât empli de sardines. Dans certains cas, les myxines se désintéressent étonnamment de leur appât pour fouiller activement le sable à l’aide de leurs barbillons. Que cherchent-elles ? Cepola haastii, le poisson serpent rose, qui vit dans des terriers au fond de l’océan. Une fois qu’un terrier habité est localisé, la myxine y pénètre et se saisit de sa proie, commençant sans doute à la mâcher grâce à ses dents en kératine (la myxine n’est pas un vertébré, et n’a pas d’os). S’ensuit une période de calme relatif, la myxine attendant que sa proie soit totalement inerte. Puis elle tord son corps et forme un nœud pour se libérer du terrier : en moins de trois minutes, l’animal ressort, sa proie fermement enserrée dans la gueule, et s’éloigne du champ de la caméra. C’est la première fois qu’un comportement prédateur est observé chez la myxine, connue pour être un charognard.

Une défense efficace

En éjectant une grande quantité de bave dans la gueule de ses prédateurs, la myxine les “noie” et parvient à se dégager de leur emprise.

Cette diversité dans ses modes d’alimentation peut expliquer la longévité de cette famille : les myxines hantent les fonds marins depuis 300 millions d’années ! Mais si elles parviennent à chasser de petits poissons, comment se défendent-elles contre des prédateurs plus menaçants ? Là aussi, les vidéos récoltées par Vincent Zintzen et son équipe apportent quelques éléments de réponse. Que ce soit face au squale Dalatias licha ou au mérou Polyprion americanus, les myxines parviennent à se dégager de l’emprise de leurs prédateurs en les “noyant” dans une bave très visqueuse qu’elles sécrètent à travers une centaine de pores qui tapissent leurs flancs. La myxine est en effet dotée de glandes salivaires produisant un composé aux propriétés étonnantes, illustrées dans cette vidéo de Douglas Fudge, de l’université de Guelph (Canada) : cette bave est constituée de filaments et de vésicules de mucine qui, en se dispersant dans l’eau de mer, forment une substance particulièrement abondante et visqueuse.

Lorsqu’un prédateur touche la peau de la myxine, cette dernière libère de la bave au niveau de la zone de contact (des expériences menées en laboratoire ont déterminé que la bave était éjectée à une vitesse de 1,8 m/s sur une distance de l’ordre de 10 cm). Au contact de l’eau de mer, la bave forme ce liquide visqueux qui va emplir les branchies du prédateur : il subit alors le supplice de la noyade, popularisé par la série 24 heures chrono… et l’administration Bush. Étouffé, le prédateur lâche rapidement prise et s’éloigne de la myxine. Que devient-il ? Il est possible qu’il suffoque lentement, ou que la muqueuse se dissolve peu à peu dans l’eau de mer, perdant alors sa viscosité et libérant les branchies. Une autre hypothèse formulée par les zoologues : que la bave contienne des produits toxiques pour les prédateurs, bien que des analyses récentes n’aient permis de détecter aucune molécule de ce type.

Reste à savoir si toutes les 77 espèces de myxines répertoriées sont des prédateurs, si ce régime est occasionnel ou fréquent, et pourquoi le mécanisme de défense développé contre les prédateurs ne semble pas fonctionner contre les mammifères ou les pieuvres, qui parviennent à se saisir des myxines.

Source : V. Zintzen et al., Hagfish predatory behaviour and slime defence mechanism, Scientific Reports, 27 octobre 2011.