Vous avez peur des serpents, perfides animaux qui se faufilent sans bruit dans l’herbe jusqu’à vos pieds ? Méfiez-vous, car la vraie menace pourrait bien venir du ciel : certaines espèces de serpents sont en effet capables de s’élancer du haut d’un arbre et de voler sur une centaine de mètres pour vous atterrir sur la tête ! Rassurez-vous toutefois, ces espèces ne vivent que dans les forêts tropicales du sous-continent indien et dans le Sud-Est asiatique, où elles ont développé ce mécanisme original de locomotion pour planer d’arbre en arbre sans passer par la case “plancher des vaches” (ou plutôt des rhinocéros). Des chercheurs de l’université de Boston et de Virginia Tech (États-Unis) ont joint leurs forces pour comprendre comment ces serpents, dont la forme cylindrique ne semble pas les destiner au vol, parviennent à planer sur de longues distances.
La nature offre d’autres exemples d’animaux planeurs : des lémuriens volants (Galeopterus variegatus), des écureuils (Pteromyinae) mais aussi des grenouilles (Rhacophorus nigropalmatus), des geckos (Ptychozoon kuhli) ou encore des lézards (Draco cornutus). Tous ces animaux peuvent planer grâce à des membranes de peau qu’ils tendent entre leurs membres ou leurs doigts, leur permettant d’augmenter leur surface plane et d’améliorer leur portance dans l’air. Or pour les serpents Chrysopelea paradisi et les espèces cousines, pas de membrane car… pas de membre. Les serpents ont donc développé une autre stratégie : d’une allure cylindrique, ils évoluent vers une forme plus mince en aplatissant leurs côtes, déplaçant leurs organes internes pour adopter un profil plus adapté au vol, rappelant celui d’un parachute (comme le détaille ce schéma).
Après avoir grimpé le long du tronc en haut d’un arbre, le serpent se déplace vers l’extrémité de l’une des branches : il s’avance à moitié dans le vide, puis s’y jette. Il s’aplatit alors et, après une courte phase de chute libre, entame un mouvement d’ondulation assez lent (une à deux oscillations par seconde) qui lui permet de planer sur plusieurs dizaines de mètres (vous pouvez consulter ici plusieurs vidéos de ce vol plané). Après s’être intéressé au mouvement d’ondulation, Jake Socha et ses collègues se sont penchés sur ce changement de forme qui aurait un impact direct sur les capacités de planeur du serpent.
Après des expériences de soufflerie réalisées lors d’une première étude en 2010, Jake Socha et son équipe de biomécanique de Virginia Tech ont décidé de collaborer avec l’équipe de Lorena Barba de l’université de Boston pour obtenir des simulations numériques de l’écoulement de fluides autour du serpent planeur. L’objectif : mieux comprendre comment ce profil particulier du serpent planeur influence le coefficient de portance, une grandeur physique qui évalue l’efficacité de la portance dans l’air (pour tout savoir de ce phénomène qui continue à intriguer bien longtemps après que le premier avion construit par l’homme ait pris son envol, courrez lire l’article d’un autre c@fetier des sciences, Dr Goulu).
Les physiciens américains ont utilisé la méthode dite des frontières immergées, utile pour modéliser l’écoulement de fluide autour d’objets de formes complexes comme le profil aplati du serpent. Deux paramètres changent au cours des simulations : l’angle que forme le ventre du serpent avec le sol lors de son vol plané (appelé angle d’attaque), et sa vitesse, proportionnelle au nombre de Reynolds (un nombre sans dimension caractérisant la nature de l’écoulement de fluides). Comme lors des expériences de soufflerie, le serpent présente une portance maximale pour un angle de 35°, lorsque la différence de pression entre le dos et le ventre est maximale. Le coefficient de portance, qui fluctue au cours du temps, atteint en moyenne 1,9, à comparer avec 1,5 pour un profil d’aile d’avion lambda ! Comment expliquer ces performances étonnantes pour un serpent ?
La réponse réside dans la succession de tourbillons qui se forment de part et d’autre du profil du serpent, et tournent dans des sens opposés. Cette configuration rappelle dans la plupart des cas une allée de tourbillons de von Kármán, sauf lorsque l’angle d’attaque du serpent est trop élevé. Pour l’angle de 35°, correspondant à la portance maximale, et pour une vitesse optimale (correspondant à un nombre de Reynolds de 2 000), la simulation numérique montre que les tourbillons se forment au plus près du serpent : ces tourbillons, compacts et proches, favorise le phénomène d’aspiration du dos reptilien et contribue positivement à la portance de l’animal. En s’élançant avec suffisamment de force et en positionnant son corps de façon optimale, le serpent peut ainsi atteindre des performances dignes d’un animal ailé en jouant avec astuce des tourbillons qu’il laisse dans son sillage.
PS : pour en savoir (encore) plus sur le serpent volant, et notamment sur l’importance de l’ondulation lors du vol plané, n’hésitez pas à regarder la conférence TEDx (en anglais) donnée par Jake Socha.
Source : A. Krishnan et al., Lift and wakes of flying snakes, arXiV, 13 septembre 2013.
Crédit photo : Alan Couch – Wikimedia Commons (CC BY 2.0).