La revue PLoS Neglected Tropical Diseases, dédiée aux maladies frappant essentiellement les pays en voie de développement, a consacré son dernier numéro à une nouvelle famille d’OGM un peu particulière : des insectes génétiquement modifiés (IGM) ! Afin de contrôler la propagation de certaines maladies infectieuses transmises par ces volatiles, comme le paludisme, la dengue ou la maladie du sommeil, les scientifiques ont en effet « développé » depuis maintenant une douzaine d’années des insectes mutants susceptibles de freiner la prolifération de leurs congénères, mettant ainsi un coup d’arrêt à la diffusion d’agents infectieux dont ils sont vecteurs. Parmi les articles dédiés à ce sujet se distingue le travail d’investigation d’une équipe de biologistes du Max Planck Institute de Plön (Allemagne), qui dévoile les coulisses des premiers essais en plein champ menés ces dernières années, des États-Unis aux Îles Caïman, et pointe des manquements à la nécessaire transparence de la recherche scientifique.

L’idée qui se cache derrière cette entreprise étonnante de génie génétique est une variante de la technique dite de l’insecte stérile, définie par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) comme « une forme de contrôle des naissances des insectes menée à l’échelle d’une région« . Utilisée depuis les années 30, elle consiste dans sa forme habituelle à soumettre des insectes mâles à des irradiations afin de les rendre stériles : disséminés ensuite dans l’habitat naturel en surnombre par rapport aux mâles endogènes féconds, ils entraînent une chute rapide de la population endogène. L’utilisation d’insectes génétiquement modifiés se place dans cette même stratégie. Les généticiens ont classé les potentiels IGM en deux catégories : pour certains, la modification génétique vise directement le contrôle des naissances, en rendant par exemple les embryons non viables ; pour d’autres, il ne s’agit « que » de rendre les insectes, stérilisés par irradiation, fluorescents afin de les repérer une fois introduits dans la population sauvage. À noter que la technique de l’insecte stérile présente l’avantage de n’utiliser aucun pesticide chimique, contrairement aux moustiquaires imprégnés (qui ont remporté de francs succès dans la lutte contre le paludisme en Afrique), des résistances aux insecticides émergeant depuis quelques années.

Des essais transparents ?

Les biologistes allemands se sont intéressés à la réglementation des IGM lors des premiers essais en plein champ. Si le protocole de Carthagène sur la biosécurité, relatif aux innovations dans le domaine des biotechnologies, reste le cadre international pour l’utilisation des OGM, il ne précise pas sa position sur les insectes, encore peu fréquents lors de la signature du protocole en 1998. Les réglementations varient alors d’un pays à l’autre ; l’article détaille notamment le rôle des organismes de contrôle américains qui ont supervisé depuis 2001 quatorze tests grandeur nature sur Pectinophora gossypiella, le vers rose du cotonnier responsable d’une épiphytie touchant les plants de coton. Le document de référence, publié en 2008, paraît reposer sur un travail bibliographique sérieux, citant plus de 170 publications scientifiques. Mais un examen attentif soulève quelques inquiétudes : la totalité des études citées ont été conduites en laboratoire (les essais américains en plein champ n’ayant donné lieu qu’à une seule publication, en date de septembre 2011), et mélangent différentes espèces et types de mutations introduites. Pour l’équipe du Max Planck Institute, il est pourtant difficile d’évaluer l’impact d’un transgène chez une espèce par analogie avec une étude conduite sur un autre insecte, les mécanismes pouvant être différents. De plus, même s’ils précisent que « ce type de modification génétique présente un très faible risque environnemental, sachant qu’en l’absence d’un lâcher continu d’IGM, les transgènes introduits seront probablement perdus parmi la population sauvage fertile« , la dissémination des transgènes répond à des processus complexes qui doivent être étudiés en plein champ.

Surtout, les biologistes reprochent aux organisme de contrôle la faible transparence de leurs données : seules deux autorisations ont été rendues publiques par l’APHIS (Animal and Plant Health Inspection Service), l’agence du Ministère de l’Agriculture responsable des essais. Une requête pour accéder à l’une d’elles, dans le cadre du Freedom of Information Act (octroyant à chaque citoyen américain l’accès aux documents administratifs), n’a abouti qu’après deux ans. Enfin, dans le document de 2008, les régulateurs font référence à des données chiffrées qui n’ont fait l’objet d’aucune publication dans une revue scientifique, validée par les pairs. Pour Guy Reeves et les autres auteurs de cette étude, « l’absence de publication des données par les organismes de contrôle américains (dans le cas présent, leurs propres données) avant qu’elles n’intègrent les documents de régulation représente un précédent inquiétant quant à la qualité scientifique et la transparence des futures évaluations de l’impact environnemental« .

Au-delà d’une inquiétude concernant la contamination des populations sauvages par les transgènes introduits par les IGM, ce travail soulève la question de la publicité des travaux scientifiques et réglementaires, notamment lorsqu’ils concernent la santé et l’environnement. Pour Luke Alphey et Camilla Beech, spécialistes des IGM qui apportent leur avis dans ce même numéro, « Reeves et ses collègues confondent les notions de transparence, d’indépendance et de qualité scientifique. Les exigences réglementaires doivent être proportionnées au dommage potentiel. » Au débat sur le principe de précaution et la notion de « risque raisonnable » vient donc se superposer celui de l’open access. Une polémique qui fait écho à celle entourant le projet de loi dit Research Work Act, actuellement en discussion au Congrès américain, qui remettrait en question la politique actuelle du NIH (le National Institutes of Health, équivalent américain de l’Inserm) laquelle stipule « à financement public, recherche publique et donc accès public ».

Note aux lecteurs : j’en profite pour signaler que la quasi totalité des articles dont il est question sur le blog sont publiés dans des revues en libre accès.

Source : RG. Reeves et al., Scientific Standards and the Regulation of Genetically Modified Insects, PLoS Neglected Tropical Diseases, 31 janvier 2012.

Crédit photo : US Department of Agriculture.