Le succès du livre de Jared Diamond, Effondrement, montre à quel point la précarité des civilisations humaines intrigue. Un exemple : les Mayas. Après avoir occupé pendant plusieurs millénaires une vaste portion de l’Amérique centrale, du Sud du Mexique jusqu’au Honduras, ils ont disparu avec l’arrivée des conquistadors espagnols au cours du XVIe siècle. Mais bien avant cette invasion, vers 900, la civilisation maya a connu un grave déclin qui a touché en premier lieu les cités des Basses-Terres. Des anthropologues de l’université de l’Illinois et du Muséum Field, basés à Chicago (États-Unis), s’intéressant à cette période de transition brutale, ont reconstruit les routes de commerce de l’obsidienne, une roche volcanique très utilisée par les Mayas (qui ne maîtrisaient pas la métallurgie). À partir de procédés utilisés pour l’analyse des réseaux sociaux, ils ont suivi l’évolution des échanges de cette pierre : elle indiquerait des changements économiques et politiques plus profonds, allant à l’encontre de la théorie selon laquelle cet effondrement serait dû uniquement à des bouleversements écologiques.
L’étude américaine se fonde sur des échantillons d’obsidienne retrouvés sur une centaine de sites mayas, datant de 250 à 1520. La composition chimique des roches (obtenue par spectrométrie de fluorescence X ou analyse chimique par activation neutronique) permet de remonter au lieu de leur extraction. Les archéologues ont notamment identifié trois gisements mayas à San Martín Jilotepeque, El Chayal et Ixtepeque, dans les hauteurs guatémaltèques, qui auraient irrigué une grande partie du marché de l’obsidienne pendant les périodes dites classique et postclassique.
Le réseau commercial de l’obsidienne reconstruit
Pour chaque période, les archéologues ont déterminé les relations commerciales entre les différents sites en mesurant la similarité des approvisionnement en obsidienne via un indice, le coefficient de similarité de la matrice Brainerd-Robinson, utilisé en archéologie pour comparer deux ensembles de données (ici les proportions d’obsidienne des différentes carrières). Le graphe reliant les sites entre eux fait ainsi apparaître des “factions” rassemblant les sites s’approvisionnant aux mêmes sources, selon une représentation très visuelle utilisée pour l’étude des réseaux sociaux.
Il apparaît que, si pendant la période classique (250/300–800), la quasi totalité de la zone est arrosée par l’obsidienne extraite dans les mines d’El Chayal, le marché se diversifie à la période classique terminale (800–1050), avec l’apparition de différentes “factions” commerciales. Parmi elles, une filière mexicaine, témoignant de l’ouverture d’une route commerciale au nord du Yucatán, et l’émergence du gisement d’Ixtepeque qui irrigue principalement les régions côtières, comme au niveau de la baie de Chetumal. “La fréquence de l’obsidienne d’Ixtepeque augmente de façon significative sur les sites occupés pendant les périodes classique et terminale, détaille l’étude. À San José (au Belize), par exemple, la fréquence de l’obsidienne d’Ixtepeque est passé de 13 % à 27 %.” Cette distinction entre les régions intérieures, qui dépendent des routes partant des mines d’El Chayal, et les zones côtières, alimentées par un réseau de transport fluvial depuis Ixtepeque, se poursuit pendant la période postclassique ancien (1050–1300), alors que certaines cités mayas ont déjà périclité. Enfin, la situation commerciale pendant la période postclassique tardif (1300–1520) devient plus éclatée, avec cinq “factions” d’approvisionnement distinctes, avant l’effondrement définitif de la civilisation maya.
Pour les anthropologues américains, le résultat marquant est que “l’essor du commerce côtier aux dépens des routes intérieures a commencé avant la chute urbaine et démographique des Basses-Terres mayas“. Sans suggérer que le changement des routes commerciales ait causé à lui seul l’effondrement de la civilisation maya, il précède nettement ces transformations plus globales. Ce bouleversement de la structure économique régionale a donc pu, en toute hypothèse, contribuer à la réorganisation interne entre les centres urbains des Hautes-Terres et les régions côtières du Yucatán qui a suvi. L’étude des réseaux commerciaux de l’obsidienne, qui doit être confirmée par une analyse similaire des échanges de chaille ou de jade, met ainsi à mal la théorie selon laquelle un changement climatique soudain serait responsable du déclin démographique de cette civilisation mésoaméricaine. Reste, pour percer le secret des Mayas, à comprendre maintenant pourquoi ils ont modifié leurs réseaux commerciaux…
Source : M. Golitko et al., Complexities of collapse: the evidence of Maya obsidian as revealed by social network graphical analysis, Antiquity, 23 mai 2012.
Crédit photo : Craig Elliott – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0) ; HJPD – Wikimedia Commons (CC BY 3.0).