Depuis Icare, nous cherchons désespérément à nous extraire de l’influence pesante de la gravité. Et, lorsque les hommes sont parvenus à sortir de notre atmosphère, ils ont même découvert un état tout particulier, celui d’impesanteur (terme préféré par l’Académie française à celui d’apesanteur). En effet, placés en orbite autour de la Terre, la force centrifuge s’oppose exactement à la force gravitationnelle, annulant ainsi ses effets et décollant nos pieds du sol. Pour étudier les conséquences à long terme de cette absence de gravité sur un organisme vivant, une équipe anglo-espagnole, animée par Richard Hill, de l’université de Nottingham (Royaume-Uni), s’est penchée sur Drosophila melanogaster, la mouche du vinaigre, grande amie des généticiens. Si certains de ces insectes ont déjà emprunté la navette spatiale Columbia en 1996, ou la Station spatiale internationale lors de la mission Cervantès en 2003, les mouches sont cette fois restées sur le plancher des vaches, l’impesanteur étant alors obtenue… en les faisant léviter au-dessus d’un aimant.

Le phénomène de lévitation diamagnétique repose sur une propriété particulière de certains matériaux, parmi lesquels l’eau : alors qu’en présence d’un aimant, la plupart des matériaux magnétiques sont attirés par celui-ci, les composés diamagnétiques produisent un « contre-champ » de direction opposée à celui créé par l’aimant. Par cette réaction, un matériau diamagnétique peut ainsi léviter au-dessus de l’aimant. Mise au point en 1991 par Éric Beaugnon et Robert Tournier, aujourd’hui chercheurs au Consortium de Recherche pour l’Emergence de Technologies Avancées (CRETA), la lévitation d’objets organiques a permis à James Valles, physicien de l’université Brown à Providence (États-Unis), de faire voler en 1997 un premier organisme vivant, un embryon de grenouille Xenopus laevis. Par la suite, d’autres physiciens sont parvenus à faire planer une grenouille adulte au-dessus d’un aimant, une expérience récompensée par le prix IgNobel de physique en 2000.

Les champs magnétiques obtenus actuellement en laboratoire n’étant pas suffisamment puissants pour faire léviter un humain, l’expérience se poursuit sur des organismes aux dimensions plus raisonnables, comme la mouche du vinaigre, familière des laboratoires de biologie.

Une mouche qui lévite marche plus vite

La gravité modifie le comportement des mouches : elles deviennent beaucoup plus mobiles lorsqu’elles sont placées en impesanteur par lévitation.

Placées au-dessus d’un champ magnétique de 16,5 T (environ 350 000 fois plus intense que le champ magnétique terrestre), les mouches, constituées à 70 % d’eau, et donc diamagnétiques, engendrent un champ magnétique qui s’oppose à une certaine position de façon exacte à la gravité, et entrent alors en lévitation. Cet état d’impesanteur (noté 0g*) est comparé à une première situation où, placées au cœur du dispositif magnétique, les mouches subissent un champ magnétique nul et restent exposées à la seule gravité (1g*), et à une seconde où le champ magnétique s’ajoute (au lieu de s’opposer) au poids, les mouches étant alors soumises à une force totale égale à deux fois la gravité (2g*).

Dans ces trois situations, les mouches se comportent différemment : en impesanteur, ces insectes marchent plus fréquemment, et surtout plus vite. Dans ce cas particulier, elles atteignent plus souvent des vitesses élevées, de l’ordre de 10 mm/s ; elles sont également deux fois plus actives lorsque la gravité est nulle que dans les cas 1g* et 2g* (une mouche étant considérée active par les entomologistes lorsque sa vitesse dépasse 4 mm/s).

Pourquoi cette activité frénétique lorsque la mouche lévite ? Les chercheurs ont tout d’abord écarté l’hypothèse selon laquelle ce comportement anormal serait dû au seul champ magnétique : les autres expériences à 1g* et 2g* sont également menées en présence du champ magnétique, et les mouches se déplacent de façon sensiblement équivalente que leurs congénères placés en dehors de l’aimant supraconducteur. Ce changement est donc bien lié à la modification du poids de la mouche.

Deux hypothèses doivent encore être testées pour mieux comprendre l’effet de l’impesanteur. Pour certains, l’absence de force gravitationnelle facilite les mouvements de la mouche : devant dépenser moins d’énergie pour se mouvoir, l’animal peut donc se déplacer plus vite. Pour d’autres, l’impesanteur perturbe plus globalement l’aptitude de la mouche à se déplacer. En effet, des expériences menées dans des labyrinthes gravitationnels (où certains couloirs sont soumis à une gravité différente) laissent supposer que l’insecte est capable de ressentir la gravité, faisant alors parler de gravitaxie pour définir un mouvement mû par la gravité. De nouvelles opportunités pour faire voler les mouches sans faire battre leurs ailes.

Source : R. Hill et al., Effect of magnetically simulated zero-gravity and enhanced gravity on the walk of the common fruitfly, Royal Society Interface, 4 janvier 2012.

Crédit photo : André Karwath (CC BY-SA 2.5).