Que faire d’un organe malade, lorsque la chirurgie réparatrice ne parvient pas à le rétablir ou lorsque la greffe n’est pas envisageable (souvent par manque de donneurs, comme en attestent les chiffres de l’Agence de la Biomédecine) ? Une piste se dessine avec la médecine régénérative, alternative “bio” à la prosthétique. Ici, pas de matériaux de synthèse : la “prothèse” est obtenue in vitro (en laboratoire) à partir de cellules vivantes ! Une équipe japonaise de l’université des Sciences de Tokyo vient ainsi de fabriquer une dent et de l’insérer dans la mâchoire d’une souris.

Une dent obtenue après différenciation d’un amas de cellules souches prélevées sur un embryon de souris. Les dimensions de la molaire sont contrôlées par celle de l’anneau (indiqué par les pointillés) dans lequel le germe dentaire se développe.

Comment reconstituer une dent ? Tout organe est un assemblage cellulaire complexe, composé de différents types de cellules assurant des fonctions spécifiques, arrangées selon une architecture particulière. En bref, il ne suffit pas d’entasser des “cellules de dent” pour recréer une dent : il faut placer les bonnes cellules au bon endroit. C’est ce qui se passe lors du développement de l’embryon, lorsque les organes se forment à partir de cellules toutes identiques. Les chercheurs japonais se sont appuyés sur cette idée pour reproduire en laboratoire la formation d’une dent à partir de cellules prélevées sur un bourgeon dentaire (stade très précoce de la dent) dans l’embryon. Ces cellules embryonnaires sont des cellules souches, capables de se transformer en d’autres cellules spécialisées. La phase de spécialisation – on parle de différenciation – est obtenue au laboratoire en reconstituant l’environnement biologique de l’embryon. L’amas cellulaire évolue alors pour former l’émail, la dentine et la pulpe, constituants d’une molaire, mais également les vaisseaux sanguins et les nerfs qui relieront la future dent à l’organisme. Le développement du bourgeon est contraint par un anneau : les chercheurs contrôlent ainsi la forme de la couronne (à peu près carrée) et la longueur de la racine (environ un millimètre). Le germe, cultivé en laboratoire pendant quelques jours, est ensuite implanté dans une souris “nourricière” (près du rein) pour une phase de maturation de 50 jours, jusqu’à la formation de la molaire définitive.

La molaire implantée dans la mâchoire inférieure d’une souris (indiquée par une flèche) est alignée avec ses voisines et fait face à la mâchoire supérieure, assurant une mastication efficace.

Une fois la dent formée, elle peut être implantée dans la mâchoire d’une souris afin d’y remplacer une molaire défectueuse. Au cours de son développement, l’implant s’est entouré d’os alvéolaire, celui qui forme la maxillaire, ce qui facilite son intégration dans la mâchoire. La dent s’aligne correctement avec ses voisines et fait face aux dents opposées, garantissant une occlusion correcte. Pour une couronne artificielle, on choisit des matériaux de propriétés voisines de celles d’une dent saine ; ici, l’implant est constitué d’émail et de dentine naturels, synthétisés par les cellules différenciées. La dent implantée est aussi dure qu’une dent saine, garantissant une mastication efficace. Ligaments, nerfs et vaisseaux sanguins relient l’implant à la mâchoire : les propriétés mécaniques et physiologiques de la dent sont restituées, ce que ne permet qu’imparfaitement un implant inerte.

Les cellules souches, nouvelle fontaine de jouvence ? La médecine régénérative ne garantit pas encore la vie éternelle, en puisant dans un stock inépuisable d’organes de rechange, mais elle a déjà connu d’autres succès. Il est aujourd’hui possible de recréer une cornée, un vaisseau sanguin, et même des patchs de cellules cardiaques qui battent à leur propre rythme, afin de soigner un infarctus par exemple. De quoi croquer la vie à belles dents !

Source : M. Oshima et al., Functional Tooth Regeneration Using a Bioengineered Tooth Unit as a Mature Organ Replacement Regenerative Therapy, PLoS ONE, 12 juillet 2011.