Quoi de mieux pour piéger des cellules qu’un bon vieil aimant ?

Alors que le président Barack Obama a levé dès mars 2009 l’interdiction du financement public des recherches sur les cellules souches embryonnaires, ces derniers jours, les députés UMP ont empêché l’examen d’une proposition de loi, adoptée en première lecture par le Sénat le 4 décembre 2012, autorisant en France la recherche médicale sur ces mêmes cellules. Il existe toutefois d’autres “sources”, ne déchaînant pas les mêmes passions éthiques, qui permettent à des chercheurs français d’exploiter les propriétés uniques de différenciation des cellules souches, notamment dans un domaine qui a émergé au début des années 1990 : l’ingénierie tissulaire, également appelé médecine régénérative (un article précédent parlait de cette technique appliquée… à la fabrication de dents). Ainsi, pendant trois ans, j’ai pu travailler sur des cellules souches mésenchymateuses, issues principalement de la moelle de la crête iliaque (le bord supérieur de l’os du bassin), avec l’idée de fabriquer in vitro du cartilage. J’ai aujourd’hui le plaisir de vous annoncer que les efforts ont été payants, puisque mes anciennes collègues (et directrices de thèse) du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC) de l’université Paris-Diderot (France), viennent de publier dans la revue Advanced Materials un article présentant les progrès accomplis tout particulièrement par la dorénavant docteur Delphine Fayol qui m’a succédé dans l’équipe.

Depuis de nombreuses années, les biologistes étudient la formation des différentes familles cellulaires à partir des cellules souches dans le but de reproduire ce phénomène en laboratoire. Dans notre cas, nous cherchions à obtenir des chondrocytes, cellules qui produisent notamment le collagène, élément essentiel du tissu cartilagineux. La spécificité de ce mécanisme de différenciation, appelé chrondrogenèse, est qu’il ne s’opère que lorsque les cellules souches sont dans un état compact, proche de celui dans lequel elles sont à l’état embryonnaire. Pour compacter les cellules souches, les biologistes utilisent principalement la technique de centrifugation, mais celle-ci n’est pas très contrôlable et ne permet que de produire de petits morceaux de cartilage, inférieur au millimètre. Difficile alors d’imaginer reconstruire une cloison nasale 100 % bio ! C’est ici que l’apport de notre labo (plutôt dédié à la physique) intervient : nous avons utilisé des forces magnétiques pour compacter les cellules. Mais, me direz-vous, comment un champ magnétique peut-il forcer des cellules à former une boule compacte ? Rien de plus simple, rendons la cellule… magnétique !

Petit à petit, le cartilage fait son nid (de collagène)

En formant au niveau de chaque aimant un agrégat capable de se différencier, puis en les faisant fusionner, on peut former un morceau de cartilage de plusieurs millimètres.

L’étape préalable à notre technique de compaction magnétique est donc de rendre magnétiques les cellules souches. Pour cela, nous leur faisons absorber de minuscules aimants, en l’espèce des nanoparticules d’oxyde de fer formant un ferrofluide. Cette étape se fait naturellement, par un phénomène appelé endocytose, développé par l’ensemble des types cellulaires pour internaliser des molécules ou des particules présentes dans leur environnement. Ainsi emplies de particules magnétiques, les cellules peuvent être attirées par un aimant placé sous la boîte de culture afin de former un tas – disons, de façon plus élégante, un agrégat cellulaire – contenant plusieurs centaines de milliers de cellules. La différenciation peut alors s’opérer, avec l’appui de certaines molécules bien choisies ; la présence de ces aimants à l’intérieur des cellules n’a heureusement pas d’impact quantifiable, même à plus long terme (la différenciation prend tout de même 4 semaines).

Les agrégats, une fois formés, peuvent être manipulés par d’autres attracteurs magnétiques au cours de la chondrogenèse : c’est ainsi que mon équipe est parvenue à obtenir de plus grands amas de cellules souches grâce à la fusion de plusieurs agrégats. Un tel assemblage de cellules ne peut être obtenu directement par centrifugation : en effet, si l’amas initial est trop important, les cellules emprisonnées au cœur du sphéroïde n’ont pas accès aux nutriments ainsi qu’aux molécules induisant la chondrogenèse, et finissent par mourir sans pouvoir se différencier. Par une suite de manipulations, mes collègues ont pu former un “carré” de 16 agrégats, comprenant un total de 4 millions de cellules souches. Et le résultat s’avère concluant : les cellules se différencient et fabriquent une matrice abondante de collagène. Prochaine étape : l’implantation chez un modèle animal, pour vérifier l’innocuité de ce cartilage “vivant”, en espérant qu’il parvienne facilement à fusionner avec le tissu déjà présent. Mais cette fois, je ne devrais plus figurer parmi les auteurs, me permettant de recouvrer pleinement ma neutralité journalistique !

Source : D. Fayol et al., Use of Magnetic Forces to Promote Stem Cell Aggregation During Differentiation, and Cartilage Tissue Modeling, Advanced Materials, 22 mars 2013.