Comment se répand une information ? Si pendant longtemps, les physiciens ont pris appui sur les travaux des épidémiologistes, traçant une analogie entre peste bubonique et tweets politiques, certains semblent aujourd’hui penser que ces deux phénomènes répondent à des logiques différentes. C’est en tout cas l’hypothèse des chercheurs de l’université de Chengdu (Chine), qui ont mis en équation la diffusion d’une information, et bâti un modèle numérique de la rumeur à partir de quelques considérations sociales universelles, distinguant le comportement d’un homme bavard et bien informé de celui d’un virus.
Selon eux, la contagion par un agent pathogène répond à un schéma qui diverge de la diffusion d’une information, ou d’une rumeur, par une personne. À la séquence “prédisposé-infecté-guéri“, la chaîne de la conviction compte plutôt quatre étapes. Tout d’abord, l’individu est ignorant. Une fois qu’il rentre en contact (via l’une de ses connaissances) avec une information nouvelle, il change d’état pour devenir informé. Avant de diffuser à son tour l’information, encore faut-il qu’il soit persuadé de son intérêt : pour faire un parallèle avec les réseaux sociaux, on peut regarder une vidéo sur le profil Facebook d’un de ses amis sans pour autant la partager, et ainsi en faire bénéficier à son tour l’ensemble de ses amis. C’est dans le passage d’un état informé à un état bavard (“J’approuve ce message”, dirait un candidat américain à la présidentielle) que réside la spécificité des modèles de diffusion de l’information par rapport aux modèles épidémiologiques : ce changement d’état dépend du nombre de fois que l’individu a été mis en contact avec l’information, dans un laps de temps suffisamment resserré. Ces deux effets, respectivement l’effet-mémoire et le renforcement social (résultant de la pression des pairs), sont pris en compte par les chercheurs chinois pour définir ce qu’on peut qualifier d’équation de la conviction. Après avoir été mis m fois en contact avec une information, la probabilité d’être convaincu, et de passer de l’état informé à l’état bavard, est égale à :
P(m) = (λ-T) e – b (m – 1) + T.
rois paramètres, pour trois caractéristique sociales, suffisent à modéliser le comportement face à l’information :
- λ désigne la crédulité de l’individu, ou plutôt la probabilité d’être convaincu à la première occasion
- b mesure le renforcement social : plus b est élevé, plus l’individu est rapidement convaincu par ses pairs
- T indique la probabilité maximale d’être convaincu (il restera toujours d’éternels sceptiques).
Enfin, une fois que l’individu est en mode bavard, il diffuse son information à tous ses contacts, en évitant de radoter (les physiciens préféreront le vocable de non-redondance des contacts) : le message relayé, il passe dans un quatrième et dernier état de sommeil.
Tout est une affaire de réseau
Au-delà de cette modélisation de la transmission de l’information, les physiciens chinois se sont intéressés à la topographie de réseaux qui permet la diffusion de l’information la plus grande et la plus efficace. Ou, en se plaçant du point de vue inverse (peut-être celui adopté par la Fondation de Chine qui co-finance cette étude), comment éviter au mieux que l’information circule ? La diffusion d’une information va en effet dépendre tout autant du comportement individuel de chaque personne que de l’organisation des liens de voisinage entre les membres de la communauté en question, un résultat mis en avant par Damon Centola, chercheur au MIT (États-Unis), dans un article publié l’an dernier dans la revue Science. Menant une expérience grandeur nature sur Internet avec des groupes d’une centaine d’individus, il avait montré l’importance de l’organisation des contacts au sein du réseau social pour la diffusion d’une information (en l’espèce, l’existence d’un forum sur Internet). La géométrie des liens entre les individus influerait donc la dynamique de partage de l’information. Est-il plus facile de porter une nouvelle à travers un réseau régulier, périodique, ou un réseau aléatoire, où les contacts sont répartis au hasard ?
Entre ces deux cas limite, les chercheurs s’intéressent tout particulièrement à une catégorie de réseaux baptisés réseaux “petits mondes” (small-world networks), qui s’écartent faiblement des réseaux réguliers en intervertissant un nombre limité de contacts pour introduire une certaine stochasticité (vous pouvez voir ici l’évolution entre ces trois types de réseaux). Ainsi, de façon étonnante, un réseau régulier n’est pas toujours le plus efficace pour faire circuler l’information, contredisant ce qu’avait montré Damon Centola. Ces réseaux périodiques s’avèrent d’excellents vecteurs pour la rumeur lorsqu’ils sont de taille modérée (le téléphone arabe de la cour de récréation), mais perdent de leur superbe lorsqu’ils s’étendent. Alors, une certaine dose de hasard s’avère utile pour propager rapidement et extensivement bonnes ou mauvaises nouvelles. Modélisant un réseau de 10 000 individus, peu crédules (λ = 0,1) mais très à l’écoute de leurs pairs (b = 6), les chercheurs constatent qu’il est impossible de convaincre plus de 1 680 personnes réparties de façon régulière, soit seulement 17 % de la communauté. À l’opposé, le réseau petit monde permet de convaincre la quasi-totalité de la population, avec une probabilité de l’ordre de 68 %, supérieure de près de 30 points à un réseau totalement aléatoire. Des résultats qui viennent appuyer la logique du buzz sur Internet ou la diffusion virale des rumeurs, chères aux partisans de théorie du complot, sachant que les réseaux sociaux adoptent généralement de telles structures.
Source : L. Lu et al., The small world yields the most effective information spreading, New Journal of Physics, 2 décembre 2011 ; D. Centola, The Spread of Behavior in an Online Social Network Experiment, Science, 19 juillet 2010.
Crédit photo : National Archives and Records Administration.