Selon une estimation des Nations Unies, la population mondiale a franchi le cap des 7 milliards d’habitants le 31 octobre dernier. Et cette croissance exponentielle ne semble pas prête de s’interrompre, pour atteindre d’ici 2050 entre 8 et 10,5 milliards d’après les scénarios établis par l’ONU. Comment allons-nous répondre à la demande nouvelle en denrées alimentaires ? Des chercheurs américains des universités du Minnesota, à Saint Paul, et de Californie, à Santa Barbara, ont estimé les conséquences environnementales de cet accroissement de la demande, en confrontant différents scénarios plus ou moins éco-compatibles. Revue de détail.

Pour savoir comment adapter nos modèles de production agricole dans le futur, faut-il encore savoir quels seront les besoins à pourvoir. Pour cela, l’étude américaine se fonde sur les données disponibles en ligne sur le site de la FAO (Food and Agriculture Organization), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. À partir des chiffres couvrant la période 1961-2007, une relation universelle émerge entre le PIB par habitant (ajusté de l’inflation) et la demande quotidienne, qu’elle soit comptée en nombre de calories ou en quantité de protéines. Ainsi, en 2000, les pays les plus riches consommaient 2,6 fois plus de calories que les nations les plus pauvres, et 4,3 fois plus de protéines. En pronostiquant un taux de croissance moyen de 2,5 % pour les années à venir (plus important pour les régions en développement que pour le monde occidental développé), et en tenant compte de la pression démographique accrue, il est ainsi possible d’estimer la demande future au niveau mondial. Celle-ci devrait doubler entre 2005 et 2050 ! Une augmentation cependant moins marquée que dans l’hypothèse utopique où le développement des pays les moins avancés leur permettrait de rejoindre le niveau de consommation des pays développés : il faudrait alors prévoir un triplement de la production agricole en l’espace d’un demi-siècle.

Scénarios agricoles

Comment faire face à cette forte pression sur la production mondiale ? Quelles conséquences sur notre écosystème, alors que l’activité agricole représente déjà aujourd’hui un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Pour imaginer le paysage de l’industrie agricole en 2050, les chercheurs américains ont conçu deux scénarios “limite”. Dans un cas, les inégalités entre régions riches et productivistes et zones plus pauvres, dont les terres fournissent des rendements faibles, se maintiennent d’ici 2050, aggravant encore l’impact environnemental de l’augmentation nécessaire de la production (c’est la courbe rose du graphe). Dans un autre cas, le progrès technologique se poursuit sur son rythme actuel, et des transferts de compétences permettent aux nations les moins avancées de rattraper leur retard : l’empreinte écologique de l’agriculture est alors limitée (courbe verte du graphe). Entre ces deux hypothèses, franchement optimiste et pessimiste, un océan de possibilités qu’il est impossible de démêler précisément.

Le graphique représente les émissions de gaz à effet de serre en 2050 en fonction de la quantité d’intrants azotés pour quatre scénarios envisagés : aucun changement entrepris (past trend), concentration foncière (land sparing), maintien de la consommation d’engrais (current N intensity) et diminution des intrants azotés (N minimizing).

Quelle voie durable emprunter ? En se plaçant dans l’hypothèse la plus favorable d’un point de vue technologique, à supposer que le frein soit mis sur l’extension des terres arables, celles-ci ne devraient s’étendre “que” de 200 millions d’hectares d’ici 2050 pour satisfaire les besoins agricoles, ce qui s’accompagnerait d’une augmentation des émissions de GES d’un milliard de tonnes de carbone. À l’opposé, l’accent mis sur la minimisation des intrants azotés (en maintenant la consommation mondiale à son niveau de 2005, soit une diminution relative par hectare cultivé) nécessiterait le défrichage de 500 millions d’hectares supplémentaires, soit 1,6 milliards de tonnes de carbone émises chaque année. Deux hypothèses bien loin du scénario catastrophe, celui de l’attentisme et de l’inaction : explosion de la surface arable (+ 1 milliard d’hectares cultivés), de la consommation d’intrants azotés (+ 250 millions de tonnes annuels) et d’émissions de GES (+ 3 milliards de tonnes équivalent-carbone par an) ! Sans parler du réchauffement climatique qui pourrait avoir des conséquences négatives sur les rendements agricoles.

Comme on le voit, cette étude prospective montre qu’il n’y a pas de solution miracle au défi agricole. À moins d’attendre une hypothétique révolution verte, qui poindrait le bout de son nez en Afrique, la croissance démographique et la hausse de nos besoins alimentaires avec le niveau de vie aura un impact fort sur notre environnement. À nous d’en limiter au maximum la marque en agissant dès aujourd’hui en faveur des transferts de technologie, de la concentration foncière et d’une agriculture moins productiviste.

Source : D. Tilman et al., Global food demand and the sustainable intensification of agriculture, PNAS, 21 novembre 2011.

Crédit photo : ars.usda.gov – Image Number K1441-5.