Mus musculus, la souris grise, est la compagne, plus ou moins souhaitée, des hommes depuis des siècles. Sans parler de symbiose, le petit rongeur vit suffisamment proche de l’homme pour que les changements subis par les populations humaines l’affecte tout autant. Archéogénéticiens et autres zooarchéologues cherchent donc à tirer de l’étude des souris des informations sur nos ancêtres : des études phylogéographiques, analysant les variations du patrimoine génétique des souris au cours du temps, permettent ainsi de reconstituer les mouvements migratoires des hommes qu’elle accompagne, en véritable “passager clandestin”. C’est dans cette optique qu’une équipe internationale de biologistes s’est penchée sur l’ADN de souris retrouvées tout au long du parcours des premiers colons américains : les Vikings en partance d’Europe, vers l’an mil, jusqu’en Islande et en Terre-Neuve, de l’autre côté de l’Atlantique…
L’analyse génétique des souris s’est concentrée sur l’ADN mitochondrial (contenu dans les mitochondries, un organite cellulaire spécialisé dans la production d’énergie), une séquence plus petite que le génome entier, inscrit dans les vingt paires de chromosomes du noyau. Le patrimoine génétique mitochondrial des souris ancestrales a été extrait de fémurs fossilisés, puis comparé à celui de souris bien vivantes, capturées à proximité des sites archéologiques Vikings sondés, en Islande, au Groenland et en Terre-Neuve.
De l’Islande à Terre-Neuve
Sur les quatre sites islandais, l’ADN mitochondrial retrouvé parmi les restes de souris est identique, et similaire à celui détecté chez une grande majorité de souris actuelles capturées dans les mêmes zones. Cette version du code génétique, appelée haplotype, peut être reliée à celle aujourd’hui dominante parmi les souris grises en Écosse, en Irlande et dans l’Ouest de la Norvège, probables régions d’origine des premières souris islandaises qui auraient voyagé à bord des drakkars. Cet arbre phylogénique des souris correspond peu ou prou à celui établi pour déterminer l’origine des Islandais, établi à partir d’analyses génétiques comparables.
La route conjointe des souris et des Vikings continue au Groenland. L’équipe menée par Eleanor Jones, de l’université d’York (Royaume-Uni), précise : “À partir des données de l’ADN mitochondrial, nous pensons que les souris domestiques sont arrivées en Islande soit de Norvège soit du Nord des Îles Britanniques au cours du Xe siècle, puis ont été transportées à partir de là vers deux colonies Viking au Groenland.” L’haplotype détecté chez les souris groenlandaises fossilisées est en effet quasiment identique à celui de leurs congénères islandaises, ne divergeant que d’un nucléotide. Cependant, leurs homologues modernes n’appartiennent pas à la même variété : alors que les souris présentes de nos jours en Islande sont les descendantes directes de cette colonisation millénaire (datée entre 874 et 930), leurs congénères groenlandaises seraient elles héritières d’une vague d’immigration plus récente. Ces résultats semblent en cohérence avec la disparition vers 1450 des colonies Viking de cette région, et le repeuplement de l’île par une seconde vague de colonisation des Danois, qui s’accélère vers 1700.
En revanche, les fouilles archéologiques menées en Terre-Neuve (Canada), sur le site Viking de l’Anse aux Meadows, découvert en 1960, n’ont mis à jour aucune trace de souris. Les colonies Viking outre-Atlantique, établies autour de l’an mil, n’auraient été maintenues qu’un court laps de temps : il n’est ainsi pas avéré que les souris qui les accompagnaient aient pu survivre seules. Les souris terre-neuviennes modernes descendent plus probablement de familles arrivées plus récemment en Amérique, au cours de l’expansion des empires européens, bien avant que John Steinbeck ne lie de nouveau les rongeurs et leurs comparses humains, cette fois-ci du côté de la Californie…
Source : AP. Jones et al., Fellow travellers: a concordance of colonization patterns between mice and men in the North Atlantic region, BMC Evolutionary Biology, 19 mars 2012 ; SI. Gabriel et al., Colonization, mouse-style, BMC Biology, 26 octobre 2010.
Crédit photo : AJC1 – Flickr (CC BY-NC 2.0) ; Yale University Press.