La science repousse perpétuellement les frontières, pour répandre les lumières de la connaissance et combattre l’obscurantisme. Héritiers de cette tradition émancipatrice, des chercheurs de l’université du Colorado à Boulder (États-Unis) sont partis à l’exploration d’un univers jusqu’alors méconnu : les toilettes publiques de leur université. Ils ont tenté de décrypter la biodiversité microbienne qui pullule sur portes et cuvettes fréquentées par leurs étudiant(e)s, à l’hygiène parfois hasardeuse.
Tout d’abord, un petit point de méthode : comment connaître les bactéries vivant dans les toilettes ? Il est en effet difficile de cultiver ces animalcules, afin de les multiplier pour ainsi les ausculter de façon plus aisée. Les microbiologistes ont donc développé de nouvelles méthodes, basées sur les progrès de l’analyse génétique. Ils s’intéressent tout particulièrement au gène codant une molécule particulière appelée ARN ribosomique 16S : cette molécule, proche par sa structure chimique de l’ADN, forme avec d’autres le ribosome, un constituant essentiel à la synthèse des protéines par la cellule. Pourquoi s’intéresser particulièrement à ce gène ? Car la molécule qu’il code est présente chez toutes les bactéries, en grande quantité, raisons pour lesquelles les phylogénistes la considèrent comme une référence de taxonomie moléculaire. Aujourd’hui, les banques de données contiennent plus de 100 000 profils bactériens, référencés par la séquence du gène codant l’ARN ribosomique 16S. En séquençant le génome des bactéries récoltées dans les toilettes et en analysant spécifiquement la séquence de ce gène particulier, il est ainsi possible de les classer selon les grands groupes indexés dans les banques de données génétiques.
Biogéographie des sanitaires
Les microbiologistes américains ont ciblé plusieurs zones particulières des toilettes publiques : les poignées de porte, les robinets, la cuvette des toilettes, la chasse d’eau, le sol, etc. Dans l’ensemble, ils ont détecté 19 groupes bactériens, parmi lesquels quatre se distinguent : les actinomycètes, les Bacteroidetes, les Firmicutes et les protéobactéries. D’où viennent-ils, et où prospèrent-ils ? Pour le savoir, les données ont été croisées avec des sources bactériennes témoins, modélisant divers environnements tels que la peau humaine, la bouche, les excréments, l’urine ou l’eau de la cuvette. En connaissant les populations bactériennes qui pullulent dans ces différents habitats types, il est possible de connaître l’origine des communautés bactériennes récoltées en divers endroits des toilettes étudiées, et d’expliciter ainsi la biodiversité qui existe chaque secteur des sanitaires.
Le sol est le Belleville des toilettes, accueillant le plus grand nombre de communautés bactériennes. Lors de leur exploration de douze toilettes publiques de l’université du Colorado, les chercheurs ont dénombré en moyenne 229 groupes distincts dans chaque échantillon. Une immigration massive, dont les chaussures des usagers des toilettes constituent un vecteur efficace, expliquant le fait que de nombreuses bactéries trouvées sur le sol des toilettes proviennent… de la terre foulée par les usagers. Quant aux autres zones des toilettes, la source prépondérante de bactéries reste la peau humaine, un résultat anxiogène pour tous les spectateurs du film Contagion de Steven Soderbergh. Les chercheurs tiennent néanmoins à nous rassurer en notant que peu de bactéries familières de l’environnement buccal se retrouvent dans les toilettes de leur université.
Concernant le cœur du dispositif, le siège de toilette, les microbiologistes dénombrent une recrudescence de deux groupes bactériens : les Firmicutes et les Bacteroidetes, que l’on retrouve fréquemment dans l’intestin humain, et donc dans les excréments. Un autre résultat inquiétant pour notre hygiène : ces bactéries élisent également domicile sur la poignée de chasse d’eau… Attention donc à être aussi précautionneux sur la salubrité de la cuvette que sur celle du reste du mobilier sanitaire ! À noter aussi que dans certains cas, des communautés habituellement détectées sur le sol se retrouvent sur la poignée de chasse d’eau. Les chercheurs fournissent une explication : “certains usagers utilisent leur pied pour actionner la chasse, une pratique bien connue chez les germophobes [ou mysophobes].” La biologie moléculaire n’a pas fini de nous surprendre…
Source : G. Flores et al., Microbial Biogeography of Public Restroom Surfaces, PLoS ONE, 23 novembre 2011.
Crédit photo : Byggfabriken (CC BY-ND 2.0).