“Dessine-moi un mouton“, demandait le Petit Prince à l’aviateur. La représentation graphique a toujours été vecteur de connaissance, mais aujourd’hui, dans une culture qui abandonne peu à peu l’écrit pour l’image, elle devient une composante essentielle de la transmission du savoir. Un second défi se dresse : comment rendre compte de la masse d’informations disponibles pour décrire fidèlement la complexité du monde dans lequel nous évoluons, et notamment la diversité de la biosphère ? La conjugaison de ces deux ambitions a donné naissance au projet OneZoom (www.onezoom.org), un outil numérique qui permet de visualiser une version digitale de l’arbre de la vie. Une immersion dans la biodiversité, et une belle invitation à la curiosité.
Ce projet, lancé par James Rosindell de l’Imperial College (Royaume-Uni) et Luke Harmon de l’université d’Idaho (États-Unis), se veut “l’équivalent de Google Maps pour l’ensemble de la vie sur Terre“. L’objectif : dépasser le “paradigme du papier” qui limite notre horizon aux dimensions d’une feuille et concevoir un support adapté à l’ère du numérique, capable d’héberger une quantité d’informations impossible à représenter sur un support imprimé. Présenté dans la rubrique Cool Tools de la revue PLoS Biology, cet outil se démarque par son caractère intuitif : il suffit de zoomer sur les différentes branches pour explorer la diversité des espèces présentes dans l’arbre phylogénétique construit par les deux biologistes. OneZoom repose sur une construction fractale qui se décline sous différentes formes (spirale, plume ou arbre), et dont chaque branche peut contenir des méta-donnés telles que le nom du groupe, le nombre d’espèces qu’il contient, l’âge de la séparation, etc.
Quand Charles Darwin rencontre Larry Page
Lancé ce 16 octobre, OneZoom présente aujourd’hui un premier arbre qui se limite aux mammifères, et qui compte plus de 5 000 espèces. Il est possible de dérouler l’histoire de l’évolution de ce taxon depuis le Jurassique jusqu’à nos jours. Un moteur de recherche permet de retrouver une espèce ainsi que le “chemin évolutif” qui la sépare de l’ancêtre commun, apparu il y a 166 millions d’années. Au rayon méta-données, l’arbre phylogénétique numérique intègre les liens vers l’encyclopédie en ligne Wikipedia ainsi que les informations recueillies par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sur le risque d’extinction des espèces, indiqué par un code couleur sur chaque feuille de l’arbre de vie. James Rosindell et Luke Harmon pensent également adjoindre à leurs arbres les informations sur la biodiversité rassemblées sur le site Internet Encyclopedia of Life. Dans les cartons : l’arbre des espèces d’amphibiens et, à l’horizon 2014, l’arbre complet de la vie, contenant les deux millions d’espèces répertoriées sur le site Open Tree of Life.
Pour le professeur Joel Cracaft, conservateur du département des oiseaux au Musée américain d’histoire naturelle de New York, “cela va révolutionner la façon dont nous enseignons et comprenons l’arbre de la vie. C’est un outil inestimable pour communiquer l’envergure colossale de l’histoire de la vie aux enfants, mais aussi aux adultes.” Les inventeurs de OneZoom envisagent à cette fin d’intégrer des images de fossiles sur les branches d’espèces disparues comme les dinosaures, afin de promouvoir la théorie de l’évolution qui fait encore face à de nombreux détracteurs, notamment aux États-Unis, y compris dans les salles de classe. De façon plus large, l’outil fractal développé pourrait être utilisé pour visualiser finement les marchés financiers, le réseau du World Wide Web, ou l’arborescence d’un ordinateur. Si l’interface numérique se révèle pleine de promesses, il restera toujours à trouver l’aiguille dans la botte de foin numérique…
Source : J. Rosindell et L.J. Harmon, OneZoom: A Fractal Explorer for the Tree of Life, PLoS Biology, 16 octobre 2012.