Une équipe internationale d’archéologues menée par Michael Storey a daté avec précision l’éruption du supervolcan Toba, à l’origine d’une caldeira de plusieurs dizaines de kilomètres sur l’île indonésienne de Sumatra, située sur la ceinture de feu du Pacifique. Intervenue il y a 73 880 ans environ, cette éruption exceptionnelle se classe tout en haut de l’échelle VEI : cent fois plus massive que celle du Pinatubo philippin en 1991, elle aurait éjecté près de 3 000 km3 de roches, recouvert le Sud asiatique d’un manteau de cendres et provoqué un hiver volcanique de plusieurs années. Cet événement géologique majeur aurait ainsi, selon certaines théories, influencé l’évolution des hominidés en causant un goulot d’étranglement de population, à l’issue duquel seul un petit groupe de survivants aurait peuplé toute la Terre.
Comment dater un événement passé ? Lorsque cela est possible, en remontant le fil du temps à partir de faits bien connus. C’est ainsi que l’ecclésiastique irlandais Jamse Ussher a daté en 1650, à partir d’une reconstitution minutieuse de l’arbre généalogique des patriarches de l’Ancien Testament, la création du monde par Dieu à 4004 avant Jésus-Christ (probablement au mois d’octobre de cette année) ! Plus sérieusement, c’est ce principe qui est à la base de la stratigraphie et de la datation des couches géologiques accumulés successivement. Il est également possible d’obtenir des mesures temporelles “absolues” à partir de phénomènes immuables, comme la désintégration d’un noyau atomique radioactif. C’est le principe notamment de la datation au carbone 14. Ici, les archéologues ont choisi comme référence temporelle un autre élément, l’argon.
L’argon, qui est un gaz, est initialement absent de la roche. Il se forme toutefois, à un rythme connu, par désintégration du potassium contenu dans cette même roche : en y mesurant la concentration relative de potassium et d’argon, on peut ainsi estimer l’âge du matériau. Mais l’argon contenu dans la roche peut parfois s’échapper, ou au contraire de l’argon atmosphérique peut pénétrer les échantillons de roche. Pour plus de précision, les archéologues comparent alors deux isotopes de l’argon : l’argon 40, présent suite à la désintégration du potassium 40 naturellement radioactif, et l’argon 39, obtenu expérimentalement par conversion du potassium 39 par irradiation dans un réacteur nucléaire. En l’absence de biais qui viendraient perturber la datation, le rapport des deux isotopes reste constant au fur et à mesure de leur relargage par fusion de la roche (plus de détails sur cette méthode sur le site Archéologies en chantier).
Du haut de ces cendres, huit cents siècles vous contemplent !
Michael Storey et ses collègues ont utilisé cette technique pour analyser des échantillons de salidines retrouvées dans la vallée de Lenggong, en Malaisie, à 350 km à l’ouest de Toba. Les cendres ont été prélevées à proximité du site archéologique de Kota Tampan. Les cendres, accumulées sur une hauteur de 5 mètres au milieu d’outils fabriqués par les hominidés qui peuplaient la région à l’époque, sont des particules fines mais forment par endroit des couches plus compactes de débris plus volumineux de quelques millimètres de diamètre, plus adaptés à la technique utilisée.
L’analyse de 45 échantillons permet d’estimer l’âge des cendres à 73 880 ans, avec une incertitude de seulement 320 ans, alors que les précédentes estimations présentaient une incertitude de plusieurs millénaires. Grâce à cette datation précise, les archéologues peuvent affirmer que la super-éruption de Toba est bien corrélée au pic de sulfate observé dans les carottes de glace extraites au Groenland, qui a eu lieu il y a 73 700 ans environ ; les mesures antérieures étaient trop floues pour affirmer avec confiance un lien temporel entre ces deux événements. L’éruption a en effet rejeté dans l’atmosphère une quantité énorme de soufre qui s’est déposé sous forme de sulfate jusqu’aux pôles, et explique le pic observé dans les échantillons arctiques. Cet enrichissement des glaces polaires en sulfate s’est suivi d’une baisse de température annuelle de l’ordre de 10°C en moins de 150 ans : l’hiver volcanique causé par Toba a été violent.
Enfin, cette couche de cendres présente en de très nombreux endroits pourra fournir aux archéologues et géochronologistes “un point de calibration bien délimité, reposant sur les radio-isotopes, pour les archives géologiques” insistent les auteurs de l’étude. L’éruption de Toba reste donc plusieurs millénaires après un point de repère important pour l’histoire des hominidés.
Source : M. Storey et al., Astronomically calibrated 40Ar/39Ar age for the Toba supereruption and global synchronization of late Quaternary records, PNAS, 29 octobre 2012.
Crédit photo : NASA Landsat7 – Wikimedia Commons ; Centre for Global Archaeological Research.