Parmi les inégalités qui rongent nos sociétés, l’une d’entre elles est peu connue, et pourtant très visible : les personnes défavorisées sont plus petites que leurs compatriotes issus des classes privilégiées ! Ce résultat surprenant est bien connu des démographes et des biostatisticiens qui auscultent les populations depuis des décennies. Une équipe de l’université de Bristol (Royaume-Uni) a épluché les données de la cohorte ALSPAC, une étude de grande échelle qui concerne 14 676 Bristoliens nés entre 1991 et 1992, pour déterminer l’origine de cette discrimination dans la répartition des fruits de la croissance.

Une histoire de taille

D’un point de vue historique, la tendance est aux hommes de plus en plus grands. Ainsi, une étude menée sur les conscrits italiens, publiée en 1995, a montré que la taille moyenne des jeunes adultes de la péninsule a cru d’environ 10 centimètres entre 1854 et 1963. Cette tendance s’inversera-t-elle sous les effets du réchauffement climatique, comme des chercheurs de l’université de Singapour l’ont d’ors et déjà mesuré chez certaines espèces ? Il est trop tôt pour le dire, mais les biostatisticiens notent jusqu’ici que, derrière cette tendance moyenne, se cachent des inégalités entre les hommes selon leurs origines sociales. Des statistiques compilées en 2004 montraient que l’écart de taille au sein de la population anglaise se resserrait, étant passé d’environ 2,5 cm chez des enfants nés en 1958 à moins de 1 cm dans la génération suivante des enfants de la première cohorte. Deux questions se posent donc : pourquoi cet écart ? Et pourquoi se réduit-il entre deux générations ?

Parmi les milliers d’enfants participant à l’étude anglaise ALSPAC, 12 830 ont été suivi jusqu’à l’âge de douze ans environ. Les informations relatives à la grossesse de leur mère ainsi qu’à leur foyer ont été récoltées afin de déceler d’éventuelles corrélations entre leur courbe de croissance et le milieu dans lequel ils ont évolué au cours de leur enfance. À défaut de relever la catégorie socioprofessionnelle, la fameuse CSP chère aux statisticiens français de l’INSEE, l’étude anglaise se fonde sur le niveau d’études de la mère pour déterminer le statut socio-économique du foyer de chaque enfant. Il s’avère que la plupart des paramètres recueillis sont liés à ce niveau d’études : les mères éduquées (ayant un diplôme universitaire) allaitent plus, sont plus âgées au moment de l’accouchement (31,4 ans contre 26,9 ans pour les femmes n’ayant pas fini le lycée), ont une alimentation plus riche (environ 100 kcal de plus par jour) et plus protéinée, et sont également plus minces et plus grandes, tout comme leurs conjoints.

Le niveau d’études de la mère, qui semble être un paramètre important de l’environnement familial, est ainsi corrélé lui aussi à la taille de l’enfant, une relation qui se maintient au cours de la croissance. Alors que les enfants de familles défavorisées (à en juger par le faible niveau d’études de la mère) mesurent à la naissance 0,39 cm de moins que leurs camarades nés d’une mère diplômée, cet écart se maintient à l’âge de 11,5 ans pour atteindre alors 1,4 cm. D’où vient cette différence ? L’analyse statistique des données démographiques indique qu’elle n’est pas due aux différences d’allaitement, d’alimentation de la mère, à son âge ou encore au nombre de frères et sœurs qui ont précédé. Un critère environnemental semble jouer un rôle, cependant modéré : le fait que la mère ait fumé au cours de la grossesse. Ce n’est donc pas l’éventuel environnement plus favorable pendant cette période chez un couple plus diplômé qui mènerait à une croissance de l’enfant plus vigoureuse.

La taille : une inégalité innée et non acquise

Il semblerait ainsi que les enfants les plus grands dépassent leurs copains de cours d’école… principalement parce que leurs parents sont eux aussi plus grands. La taille des parents explique en effet l’écart détecté entre les enfants de la cohorte. En quelque sorte, le critère socio-économique de cette inégalité de taille ne détermine pas directement la croissance de l’enfant, laquelle est plutôt un facteur hérité : les plus pauvres, étant plus petits, donnent naissance à leur tour à des enfants petits qui, s’ils n’empruntent pas l’ascenseur social, resteront plus pauvres et enfanteront à leur tour d’enfants petits. En d’autres mots, les pauvres restant pauvres, les petits restent petits. Des résultats qui doivent être complétés : les déterminants génétiques de la taille, assurant sa transmission héréditaire, restent partiellement connus, et certains mécanismes d’origine environnementale doivent aussi être examinés avec plus d’attention avant d’être écartés. Et si la présente étude explique pourquoi cette inégalité se maintient (à cause d’un faible brassage social), elle ne dit pas comment cet écart de taille entre les différentes classes sociales est apparu, en Angleterre comme dans d’autres pays développés.

Mais, avant de maudire votre mère pour votre petite taille et ses piètres performances scolaires, souvenez-vous la maxime de Coluche : « Dans la vie, y a pas de grands, y a pas de petits, la bonne longueur pour les jambes, c’est quand les jambes touchent bien par terre !« 

Source : B. Galobardes et al., Social Inequalities in Height: Persisting Differences Today Depend upon Height of the Parents, PLoS ONE, 6 janvier 2012.

Crédit photo : The University of Iowa Libraries (CC BY-NC 2.0).