Voici une sérieuse compétitrice pour les prochains IgNobel, catégorie médecine vétérinaire. Ce prestigieux prix, qui couronne chaque année les recherches qui apparaissent aux profanes particulièrement absurdes et futiles, avait déjà célébré cette discipline en 2009, récompensant Catherine Douglas et Peter Rowlinson, de l’université de Newcastle (Royaume-Uni), pour leurs travaux ayant montré un lien entre la production de lait d’une vache et… le fait que celle-ci porte un prénom. Cette année, Charlotte Burn, une vétérinaire anglaise, s’est penchée sur un phénomène intriguant : pourquoi certains chiens cherchent-ils désespérément à se mordre la queue ? Son terrain d’étude : Youtube, le site web d’hébergement de vidéos.

L’article, publié dans la très sérieuse revue PLoS ONE, ne précise pas si la vétérinaire du Royal Veterinary College a choisi de mener une étude en ligne à cause d’une allergie aux poils de canidés. Plus sérieusement, Charlotte Burn précise que l’utilisation de Youtube offre un échantillon large (et à moindre coût) d’observations de chiens dans un environnement domestique « normal », loin des conditions de laboratoire. Le site web, riche de plusieurs centaines de millions de vidéos (au contenu plus ou moins informatifs) est ainsi exploité par les scientifiques qui voient dans une gigantesque base de données gratuite un moyen efficace de scruter le monde contemporain. Une équipe canadienne a ainsi récemment étudié le phénomène du jeu du foulard à partir de vidéos vues sur le site.

« Vous aimez les chiens ?« 

‘So cute, xD !’ dirait un commentateur sur Youtube, peu sensibilisé au trouble du comportement compulsif frappant certains canidés.

La requête « dog chasing tail » (Charlotte Burn a limité son champ d’étude aux chiens anglophones) renvoie plus de 5000 vidéos à ce jour. Parmi celles-ci, la vétérinaire en a sélectionné 400 parmi les plus populaires. Elle a analysé à la fois le comportement canin, permettant une étude épidémiologique du trouble compulsif, et les réactions (orales et écrites, via les commentaires laissés sur le site) des observateurs humains. Penchons-nous sur ce dernier point.

Des rires émaillent plus de la moitié des vidéos, et près de 60 % des descriptifs les accompagnant caractérisent le comportement incriminé comme amusant, par l’emploi du terme ‘funny’ ou de l’une de ses multiples variantes dans le langage internet, lol, xD ou encore lmao (soit laugh my ass off). Ils sont plus rares à juger ces chiens stupides ou idiots (moins de 15 %). À noter que plus d’un tiers des vidéastes encouragent verbalement le chien dans son tête-à-queue, et 20 % provoquent ce comportement, en plaçant par exemple la queue dans la gueule du chien.

La vétérinaire s’alarme de la faible considération des utilisateurs de Youtube pour la santé psychologique des chiens. Pourtant, elle rappelle que ce comportement compulsif de persévération peut être si débilitant que certains chiens, traités par des neuroleptiques tels que la naloxone ou la mémantine, doivent être finalement euthanasiés, l’amputation caudale ne suffisant pas à faire disparaître ce trouble. Pour Charlotte Burn, « alors que les chiens semblent capables de comprendre certains aspects du comportement humain, les humains n’évaluent pas nécessairement tous les traits importants du comportement canin de façon précise.« 

Source : C. Burn, A Vicious Cycle: A Cross-Sectional Study of Canine Tail-Chasing and Human Responses to It, Using a Free Video-Sharing Website, PLoS ONE, 9 novembre 2011.

Crédit photo : Daniel Davies (CC BY-NC-SA 2.0).