Les femmes n’aiment-elles pas la science, ou est-ce la science qui ne les aime pas ? On peut se poser la question en observant les effectifs du CNRS : en 2010, seul un directeur de recherche (l’équivalent du statut de professeur) sur quatre était une directrice, quand les femmes ne représentaient au total que 32 % des effectifs de chercheurs du premier organisme de recherche européen. Une situation similaire à celle de l’Inra ou à celles des grandes universités américaines, alors que de nombreuses études ont montré que le sexe biologique n’avait que peu d’influence sur les capacités en mathématiques et autres disciplines scientifiques. Pour y voir plus clair, une équipe de l’université Yale (constituée de deux femmes pour trois hommes) a lancé une opération de testing auprès de 127 professeurs de biologie, de chimie ou de physique aux États-Unis, afin d’évaluer les éventuelles discriminations à l’embauche d’un(e) jeune étudiant(e).
Les chercheurs américains ont soumis à leurs collègues, issus de six universités, publiques et privées, un même dossier envoyé par un ou une étudiant-e de 22 ans, prénommé John ou Jennifer, diplôme de Bachelor of Sciences (l’équivalent d’une licence) en poche, qui postule pour un poste de “lab manager” (gestionnaire de laboratoire). Le profil conçu était à dessein celui d’un candidat bon mais pas excellent, afin de se placer dans la moyenne des dossiers examinés habituellement par les sondés. Chaque participant devait évaluer la candidature selon trois critères : la compétence supposée du candidat, l’employabilité (via une proposition de salaire) et la volonté de l’encadrer.
Jennifer vs John
Les résultats sont sans appel : le dossier de Jennifer est systématiquement moins bien évalué que celui, pourtant identique, soumis par John. Ainsi, les chercheurs proposent de l’ordre de 2 800 euros annuels de plus à l’étudiant qu’à son alter ego féminine, et se montrent moins enclins à encadrer une étudiante. Ce biais en faveur des étudiants est partagé quels que soient le domaine de recherche, l’âge, le statut, mais plus surprenant sans doute, le sexe du chercheur qui examine le dossier. Hommes et femmes sont égaux devant les préjugés sexistes dans la science !
Comment expliquer ces différences ? Essentiellement par le fait qu’une femme est perçue comme moins compétente qu’un homme, à CV équivalent. Ce paramètre détermine à lui seul l’écart d’évaluation des dossiers de candidature. Le sexisme implicite des chercheurs, évalué par le Modern Sexism Scale, joue un rôle dans l’opinion négative sur les candidatures féminines, alors qu’il n’affecte pas le jugement porté aux hommes. Ce machisme est non intentionnel, car dans le même temps, les sondés déclarent plus apprécier les filles que les garçons… “Ces résultats soulignent le fait que les professeurs d’université ne font pas preuve d’une hostilité catégorique ou d’une aversion pour les étudiantes, détaillent les auteurs de l’étude, mais qu’ils sont plutôt touchés par des stéréotypes de genre généralisés, les conduisant de façon non intentionnelle à sous-apprécier leurs compétences et leur employabilité par rapport à un étudiant au profil identique.“
Une fois le constat posé, que faire ? L’enjeu est de taille : si les jeunes étudiantes qui aspirent à une carrière dans la recherche sont plus souvent rejetées, ou suscitent moins l’envie de les encadrer et de les accompagner, elles risquent de se détourner plus encore de cette voie. L’Union européenne a voulu se saisir du problème cet été en lançant un clip… pour le moins controversé. L’avenir réside-t-il dans les thérapies “guérissant” des clichés sexistes, comme l’on pourrait amoindrir le racisme implicite ? Cette étude permet en tout cas de montrer que le nombre d’années d’études ne prémunit pas contre les préjugés qui courent dans la société.
Source : C.A. Moss-Racusin et al., Science faculty’s subtle gender biases favor male students, PNAS, 17 septembre 2012.
Crédit photo : Vancouver Island University – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).