Au rayon des catastrophes annoncées en raison du réchauffement climatique, on peut citer un probable rapetissement des poissons, causé par la montée des températures océaniques, ou encore le bouleversement de certains phénomènes climatiques. Ainsi, une longue bande de précipitations, répondant au doux nom de zone de convergence intertropicale, devrait migrer durablement vers le nord et priver ainsi les caféières d’Amérique du Sud des pluies indispensables à cette agriculture. Qu’adviendra-t-il de la forêt amazonienne, poumon vert de la planète, déjà meurtrie par la surexploitation humaine ? Sa grande diversité végétale pourra-t-elle survivre à une forte hausse des températures ? Pour le savoir, Christopher Dick, de l’université du Michigan (États-Unis) et ses collègues ont décidé de se tourner vers le passé…
Le rapport 2007 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat prévoit une augmentation de la température comprise entre 1,8°C et 4°C, en fonction de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre. D’après une étude publiée en 2011, cela nous ramènerait aux températures qu’a connu la Terre avant l’ère Quaternaire, plus précisément au Pliocène inférieur (entre 3,6 et 5,3 millions d’années) ou au Miocène supérieur (entre 8 et 10 millions d’années), que l’on considère l’hypothèse de réchauffement la plus optimiste ou la plus pessimiste. Revenons-en aux arbres d’Amazonie : les biologistes américains emmenés par Christopher Dick se sont demandé si certains arbres contemporains poussaient déjà dans la région à cette époque, ce qui témoignerait de leur tolérance à de plus fortes chaleurs. Pour cela, ils ont évalué leurs âges grâce à une technique génétique appelée horloge moléculaire.
Plongée dans la préhistoire de l’Amazonie
L’idée est de dénombrer les différences entre les ADN de deux spécimens d’une même espèce. Si ces changements sont dus à des mutations génétiques aléatoires, ils interviennent à un rythme régulier : les chercheurs estiment qu’il y a 0,16 % de chances qu’une lettre soit substituée par une autre en un million d’années, et ce pour chaque site composant la molécule d’ADN. On peut ainsi estimer l’âge de l’ancêtre commun des deux spécimens contemporains, celui-ci étant d’autant plus ancien que les patrimoines génétiques de ses descendants auront divergé du fait des mutations (cette même technique avait permis de remonter l’arbre généalogique de la Peste Noire).
Cette opération a été conduite pour douze espèces d’arbres représentant la diversité de la forêt amazonienne, du balsa (Ochroma pyramidale) au bois fusil guyanais (Palicourea guianensis) en passant par le fromager (Ceiba pentandra), aussi connu sous le nom de kapokier, et Symphonia globulifera. L’horloge moléculaire indique que la plupart des espèces sont présentes dans la région depuis plus de 3 millions d’années (à l’exception du fromager, arrivé il y a 220 000 ans environ). Un grand nombre d’espèces d’arbres de la forêt amazonienne a donc survécu à de précédents réchauffements semblables à celui attendu pour la fin du XXIe siècle.
Les conclusions de l’étude sont toutefois prudentes sur l’avenir de l’Amazonie. Les auteurs indiquent notamment qu’ils “ne [peuvent] pas écarter la possibilité que certaines tolérances à des températures plus élevées aient été perdues au cours du temps.” De plus, la comparaison avec le passé présente certaines limites. Comme l’explique l’un des membres de l’équipe Simon Lewis, de l’université de Leeds (Royaume-Uni), “la forêt amazonienne est aujourd’hui convertie aux cultures agricoles et à l’extraction minière, et ce qu’il en reste a été dégradé par l’exploitation forestière et se retrouve de plus en plus fragmenté par les champs et les routes.” Il est en effet possible que les arbres aient pu survivre pendant les périodes chaudes en se déplaçant vers des plateaux d’altitude au climat plus clément. Ce schéma serait aujourd’hui compromis du fait de la déforestation, estimée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à 2,6 millions d’hectares par an, rien qu’au Brésil. Le réchauffement climatique a de plus d’autres conséquences que la seule augmentation des températures : il entraînera des sécheresses plus fortes, comme l’Amazonie en a déjà subi en 2005 et 2010, favorisera les feux et provoquera la disparition d’animaux indispensables à la dissémination des graines. Si les arbres peuvent probablement endurer une hausse des températures, les efforts pour la préservation de la forêt amazonienne ne doivent pas être relâchés.
Source : C.W. Dicket al., Neogene origins and implied warmth tolerance of Amazon tree species, Ecology and Evolution, 14 décembre 2012.
Crédit photo : Christopher Dick – University of Michigan ; Rolando Perez – Center for Tropical Forest Sciences.