“Un système hydroalcoolique complexe, composé de molécules de gaz de dioxyde de carbone (CO2) formées avec l’éthanol pendant le processus de fermentation secondaire, dit prise de mousse”. Présenté comme cela, il n’est pas sûr que vous ayez envie de vous en servir une coupe. Ou plutôt une flûte ? Le breuvage disséqué de la sorte par les chercheurs de l’université de Reims n’est autre que le champagne, ce vin effervescent produit dans le nord-est de la France depuis des siècles. Sa particularité réside dans ces petites bulles de gaz qui affleurent des parois du verre dans lequel il est versé, dont la taille et les arômes qu’elles libèrent sont examinés avec attention par les œnologues avertis (et dont la vie passionne les physiciens). L’équipe champenoise menée par Gérard Liger-Belair a voulu savoir qui, de la coupe ou de la flûte, assurait le meilleur dégagement gazeux, pour le plaisir des buveurs.
Le champagne contient une grande quantité de dioxyde de carbone, issu de la seconde fermentation du vin dit de base, enrichi en sucre et en levures : environ 9 g de CO2 sont dissous dans une bouteille de 750 mL, soit l’équivalent de 5 litres de gaz ! Une fois le bouchon sauté, ce dégagement se produit selon deux processus parallèles : l’effervescence des bulles de gaz qui éclatent, et une diffusion “invisible” à la surface du liquide, au contact de l’air. Ce second phénomène peut être visualisé grâce à la thermographie infrarouge, sensible au gaz carbonique. Plus globalement, les chercheurs ont analysé la composition chimique des vapeurs recueillies au bord du verre (à l’endroit où l’on hume habituellement le vin) : en plus du CO2, le champagne dégage en effet un certain nombre de composés organiques volatils, au premier rang desquels l’éthanol, qui interviennent dans la perception des arômes.
Une histoire de goût… et de gaz
La seule étape du remplissage du verre, que ce soit la coupe ou la flûte, entraîne un dégazage important, un nuage de vapeur se formant alors autour du verre. La concentration de CO2 dissous diminue ainsi de près de 40 % en quelques instants, autant de bulles qui ne se retrouveront pas dans le verre pour le plaisir des yeux et des papilles. Le gaz restant dans le verre diffuse ensuite en dehors sous forme gazeuse, s’échappant par les bulles ou le nuage “invisible” (sauf à être équipé d’une vision dans l’infrarouge). Les chercheurs ont scruté le dessus du verre pendant le quart d’heure suivant le remplissage (rien ne sert d’observer ce qu’il se passe ensuite, le champagne ne restant jamais si longtemps hors de portée d’un buveur assoiffé) : la concentration de CO2 gazeux qui s’échappe du verre diminue progressivement au fur et à mesure de sa diffusion, mais elle est pendant toute cette période deux à trois fois plus importante au-dessus d’une flûte que d’une coupe. Le dioxyde de carbone est connu pour être un stimulant du système trigéminal, un circuit neuronal qui interagit avec le système olfactif au niveau neuronal. Conclusion : “à cause de la plus grande concentration de CO2 gazeux au-dessus de la flûte par rapport à la coupe, l’odeur du champagne, et en particulier son premier nez, est toujours plus irritant quand il est servi dans une flûte“.
Quant à l’éthanol, le verre en contient tant (environ 10 g) qu’il constitue un réservoir virtuellement infini : les vapeurs d’alcool se dégagent ainsi continûment pendant la phase d’observation, et ne modifient pas la perception du bouquet dans les premiers instants de dégustation. Les différences entre flûte et coupe ne sont pas suffisamment importantes pour en tirer des conclusions d’ordre œnologique. Par contre, la température du breuvage influe sur le dégagement de vapeurs d’éthanol : il est plus faible lorsque le champagne est servi frais (à 12°C) plutôt qu’à température ambiante (voisine de 20°C). La température va donc influer sur la perception gustative du champagne, car l’éthanol favorise la solubilité des molécules odorantes contenues dans le champagne : servi plus frais, les parfums se volatilisent moins que lorsque la bouteille est maintenue autour de 20°C. À méditer à la prochaine célébration, au moment de sabrer le champagne !
Source : G. Liger-Belair et al., Monitoring Gaseous CO2 and Ethanol above Champagne Glasses: Flute versus Coupe, and the Role of Temperature, PLoS ONE, 8 février 2012.