Dans le film de Michel Gondry, Soyez sympas, rembobinez, les spectateurs découvrent les dégâts qu’un champ magnétique (matérialisé par Jack Black, victime d’un accident assez peu réaliste…) peut causer sur les bandes de cassettes VHS, toutes démagnétisées. Le réalisateur fantaisiste aurait pu imaginer une sorte de cape d’invisibilité, l’équivalent d’une cage de Faraday, qui protégerait les précises vidéos, non pas des champ électriques, mais de ses équivalents magnétiques. Sous cette cape, les objets seraient protégés du magnétisme : les champs extérieurs se comporteraient comme si aucun objet magnétique n’était à proximité, et les champs produits « sous la cape » ne fuiteraient pas au dehors. Des physiciens de l’université autonome de Barcelone (Espagne) dévoilent aujourd’hui la marche à suivre pour concevoir un tel dispositif magnétiquement hermétique, en donnant la recette d’un « anti-aimant ».

Poursuivant les travaux amorcés en 2007 par Ben Wood et John Pentry, de l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni), les chercheurs espagnols ont cherché à moduler les propriétés magnétiques d’un matériau pour répondre au cahier des charges de l’anti-aimant : contenir un champ magnétique engendré à l’intérieur de celui-ci, et être magnétiquement indétectable depuis l’extérieur. D’un point de vue théorique, ces deux conditions reposent sur la perméabilité magnétique du matériau qui va constituer l’anti-aimant. Cette grandeur, qui caractérise précisément la faculté d’un matériau à modifier le champ magnétique ressenti, doit être anisotrope, c’est-à-dire prendre des valeurs différentes au sein du matériau. Comment ? en jouant sur sa structure. Pour fabriquer un anti-aimant prenant la forme d’un cylindre, il conviendra d’empiler des couches aux propriétés différentes, les unes constituées de petites particules métaux ou d’alliages ferromagnétiques, tels la magnétite, un oxyde de fer (Fe3O4), leur conférant des propriétés dites superparamagnétiques, les autres simplement emplies d’air. Une telle structure permet ainsi d’atteindre quasiment les valeurs préconisées par la théorie.

Une cage de supraconducteurs

L’anti-aimant (en jaune) ne déforme pas les lignes de champ engendrées par l’aimant placé en bas (en bleu), tout en contenant le champ magnétique que crée l’aimant (en bleu) situé à l’intérieur.

Pour obtenir les propriétés adéquates, les physiciens utilisent un matériau particulier : les supraconducteurs. De tels matériaux se caractérisent par leur résistance électrique nulle : cela veut dire qu’il n’y a pas d’échauffement dû à la circulation des électrons dans le matériau (l’effet Joule qui fait fonctionner les radiateurs électriques). Un phénomène étonnant, dont on célèbre cette année le centenaire de la découverte par Kamerlingh Onnes (lauréat du prix Nobel de physique de 1913). La supraconductivité est aussi liée à une propriété magnétique particulière, nommée l’effet Meissner : dans certaines conditions de température, le matériau supraconducteur exclut tout flux magnétique, permettant ainsi à un aimant placé au-dessus de lui d’entrer en lévitation magnétique.

L’empilement de plusieurs couches de matériaux superparamagnétique et supraconducteur permet de constituer un anti-aimant idéal, confirmé par les simulations numériques effectuées par les physiciens espagnols. Tout objet magnétique placé à l’intérieur d’un tel cylindre est ainsi indétectable de l’extérieur (le champ magnétique qu’il crée est nul à l’extérieur du cylindre), et il ne modifie pas les champs magnétiques engendrés par des objets placés à son voisinage. Reste à concevoir le premier prototype d’anti-aimant, pour un jour protéger les pacemakers ou les implants cochléaires dont les porteurs doivent renoncer aux examens IRM. Et peut-être nous obliger à reconsidérer nos dispositifs de sécurités, le jour où il sera possible de camoufler magnétiquement une arme pour passer les portiques qui pullulent dans les aéroports.

Source : A. Sanchez et al., Antimagnets: controlling magnetic fields with superconductor–metamaterial hybrids, New Journal of Physics, 22 septembre 2011.

Crédits photo : Newton Henry Black.