La mythologie de la Ruée vers l’or charrie avec elle quantité d’images d’orpailleurs, penchés sur leurs batées à la recherche de paillettes d’or entraînées par les rivières aurifères, dont un bon nombre irrigue les campagnes métropolitaines sans oublier la Guyane. Heureusement les méthodes d’exploitation se sont perfectionnées depuis le XIX° siècle, permettant d’assouvir la soif toujours plus grande pour ce minerai convoité par les industriels en raison de ses excellentes propriétés physiques mais surtout par les réserves des banques mondiales : la Banque de France détient ainsi à elle seule 2 435 tonnes d’or (derrière les États-Unis, l’Allemagne, le FMI et l’Italie). La détection de nouveaux filons s’avère toutefois délicate, la phase d’exploration étant sans cesse interrompue le temps que les échantillons soient analysés en laboratoire afin de confirmer la présence d’or (Au). Une collaboration entre les universités d’Adélaïde (Australie) et du Nebraska à Lincoln (États-Unis) propose une méthode inédite pour détecter l’or : une bactérie, issue du génie génétique, dont la sensibilité au métal avoisinerait celle des appareils actuels.
Les chercheurs ont développé ce qu’il convient d’appeler un biocapteur (ou biosenseur), “un objet biologique capable de réagir à un stimulus extérieur, la réaction pouvant alors être manipulée pour constituer un signal mesurable qui est alors utilisé pour obtenir des informations qualitatives ou quantitatives à propos du stimulus initial“. Ici, l’objet biologique est une bactérie intestinale répandue, nommée Escherichia coli. Pour la rendre sensible au stimulus extérieur qui nous intéresse ici, à savoir la présence d’or dans son environnement, les scientifiques ont manipulé le patrimoine génétique de la bactérie pour y intégrer une unité ADN particulière, identifiée en 2007 par Fernando Soncini, Susana Checa et leurs collègues de l’université nationale de Rosario (Argentine) chez une autre bactérie, Salmonella enterica. Cette unité génétique est ce que les généticiens appellent un opéron, terme inventé en 1960 par Jacques Monod, André Lwoff et François Jacob (récemment disparu) lors de leurs travaux sur le métabolisme bactérien du lactose, récompensés par le prix Nobel de physiologie de 1965.
Quand le génie génétique vient au secours de l’industrie minière
En quelques mots, un opéron permet la régulation de l’expression de certains des gènes qui le constituent – et donc de la synthèse de quelques protéines par la bactérie – en fonction de la présence ou de l’absence d’un signal moléculaire. Ce signal régulateur agit comme un “interrupteur”, permettant ou non l’expression de ces gènes (dits de structure), en se fixant à la séquence d’ADN au niveau d’un gène opérateur appartenant à l’opéron. Dans le cas présent, l’opéron golTSB découvert par l’équipe argentine garantit l’expression des gènes de structure uniquement en présence de cations Au. Enfin, les chercheurs américano-australiens ont modifié l’opéron afin que la présence d’or entraîne la synthèse d’une enzyme, la β-galactosidase, dont l’activité est facilement détectable : cela constituera le signal mesurable évoqué plus haut.
Ainsi, la synthèse de l’enzyme par la bactérie modifiée s’avère corrélée de façon linéaire avec la concentration en or dans l’environnement bactérien. Le biocapteur fonctionne : il permet de traduire la présence de cations Au en quantité d’enzymes. Le seuil de quantification est fixé par les chercheurs à 20 parties par milliard (soit 0,1 mM), soit seulement un ordre de grandeur au-dessus du seuil obtenu avec les méthodes habituelles, comme la spectrométrie par torche à plasma.
Reste toutefois à lever quelques limitations décelées chez ce biocapteur innovant. Contrairement à ce qui était attendu d’après les résultats publiés par l’équipe argentine, l’opéron s’avère également sensible à la présence d’autres cations métalliques, comme l’argent, le plomb ou l’arsenic. Ces trois éléments sont dits indicateurs d’un filon aurifère, car fréquemment présents à proximité : la piètre spécificité de l’opéron rend ainsi difficile l’analyse d’échantillons contenant, en sus de l’or, d’autres métaux. Les chercheurs ont néanmoins réussi à passer outre cette difficulté en utilisant une technique d’extraction sélective qui permet de ne solubiliser que les cations d’or : ils ont ainsi pu analyser de façon précise et rapide cinq échantillons prélevés sur des terrains d’exploration australiens, malgré la présence dans la roche de plusieurs autres métaux. On pourrait alors imaginer coupler cette bactérie chercheuse d’or avec une autre bactérie, naturelle cette fois, capable de minéraliser l’or soluble. Les bactéries auront alors définitivement mis les orpailleurs au chômage…
Source : C.M. Zammit et al., A Whole-Cell Biosensor for the Detection of Gold, PLoS ONE, 9 août 2013.
Crédit photo : John C. H. Grabill – Library of Congress ; Eric Erbe – Agricultural Research Service.