A priori, un carnivore n’a rien à craindre d’un herbivore… Tout dépend de la taille de ce dernier. Ainsi, la coccinelle (Coccinella septempunctata), animal aphidiphage – qui se nourrit de pucerons – peut redouter la mâchoire d’une paisible chèvre, qui ne cherche pourtant qu’à paître tranquillement dans le champ où le malencontreux insecte a élu domicile. Deux biologistes de l’université de Haïfa (Israël) se sont demandé comment les insectes parviennent à échapper à la menace des mammifères herbivores qui peuvent accidentellement faire un écart à leur régime alimentaire pour croquer un peu de chair fraîche.

Les chercheurs israéliens ont choisi trois spécimens de coccinelles, recueillies dans un parc de Haïfa, et les ont soumises à plusieurs expériences. D’un côté, une épreuve “grandeur nature” où les coccinelles étaient relâchées sur des plants de luzerne dans un enclos hébergeant… une chèvre. De l’autre, des tests en laboratoire lors desquels ils leur ont imposé une série de stimuli de différentes natures sensés mimer la présence d’un mammifère à proximité. Dans tous les cas, le comportement des coccinelles, qu’elles soient adultes ou encore des larves, était observé à l’issue de l’expérience : s’étaient-elles envolées, laissées choir sur le sol, ou bien faites dévorer ?

La coccinelle largue les amarres lorsque la bise caprine est proche

La coccinelle qui chassait le puceron sur ce brin d’herbe a-t-elle eu le temps de se jeter au sol avant de se faire mordiller par la chèvre ?

Plus de 90 % des coccinelles survivent à l’épreuve de la chèvre, les larves faisant presque aussi bien que les adultes (80 % de survivants). À la surprise des biologistes, aucune coccinelle n’utilise ses ailes pour fuir le capriné : elles préfèrent toutes se laisser tomber sur le sol. Mais comment savent-elles qu’un herbivore les menace ? Les biologistes ont testé plusieurs hypothèses pour expliquer la réaction de l’insecte : la vibration de la plante sous l’effet de la mastication, un contact direct avec l’herbivore, ou encore le souffle de l’animal, repéré par sa chaleur et son humidité ou par le dioxyde de carbone expiré. Le seul stimulus capable de décrocher les coccinelles de leur plante est un souffle chaud et humide, produit expérimentalement par une machine ou directement par l’un des auteurs de l’étude qui a respiré sur les insectes. Il s’agit donc bien d’une fuite active face à la présence supposée d’un mammifère herbivore, la coccinelle ne lâchant pas prise lorsqu’une vibration est imposée à la plante.

Pourquoi les insectes utilisent ce moyen pour détecter la présence d’un herbivore ? Les biologistes israéliens avancent plusieurs arguments. Les variations soudaines d’humidité et de chaleur liées au souffle de l’animal ne peuvent être confondues avec des fluctuations saisonnières de l’environnement, et elles présentent l’avantage de ne pas dépendre de l’espèce incriminée. De plus, si ce stimulus n’est détectable que lorsque la menace est imminente, il l’est de nuit.

La même équipe avait observé en 2010 ce même phénomène de fuite en réponse au souffle d’un herbivore chez certains pucerons dont se nourrissent les coccinelles. Ce comportement est donc répandu au sein du “Peuple de l’herbe“, aussi bien chez les larves que chez les insectes adultes, ce qui indique l’importance de la menace des mammifères herbivores. Comme le précisent les auteurs, “la décision de se laisser tomber, malgré son coût potentiel, montre l’importance de la possible pression sélective que les mammifères herbivores exercent sur les insectes vivant sur les plantes“. Les espèces ont donc coévolué, aboutissant à des réseaux trophiques plus complexes que l’on pouvait l’attendre.

Source : M. Ben-Ari et M. Inbar, When Herbivores Eat Predators: Predatory Insects Effectively Avoid Incidental Ingestion by Mammalian Herbivores, PLoS ONE, 12 février 2013.

Crédit photo : Trachemys – Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0) ; Natesh Ramasamy – Flickr (CC BY 2.0).