Que peuvent bien avoir en commun une autruche d’Afrique du Sud et un ornithorynque d’Australie ? Pour le savoir, il faut attendre le coucher du soleil. Une équipe internationale menée par John Lesku de l’Institut d’Ornithologie Max Planck de Seewiesen (Allemagne) a scruté le sommeil du plus grand oiseau de l’ère moderne : les ondes cérébrales qu’il émet lorsqu’il dort le distinguent de toutes les autres espèces d’oiseaux et de mammifères déjà étudiées… mis à part l’ornithorynque. Pourquoi ces points communs entre les comparses des antipodes ?
Pour caractériser le sommeil des autruches (Struthio camelus), les ornithologues ont équipé chaque oiseau d’appareils mesurant leur tonus musculaire, la position de leur tête, le mouvement de leurs yeux et surtout leur activité cérébrale. L’électro-encéphalogramme (dont tous les fans de House ont entendu parlé) enregistre les ondes électriques produites par les neurones du cerveau, qui varient selon l’état de conscience de l’animal. On distingue ainsi deux phases de sommeil, que l’on retrouve chez les oiseaux comme les mammifères : un sommeil profond, nommé SWS (pour slow wave sleep) en raison des ondes cérébrales lentes produites par le cerveau antérieur, et un sommeil paradoxal, dit REM (rapid eye movement), caractérisé par un mouvement oculaire rapide, un relâchement des muscles et des ondes cérébrales rapides émises par le tronc cérébral. Qu’en est-il des autruches auscultées en Afrique du Sud ?
Pendant la phase de sommeil SWS, l’autruche garde les yeux ouverts et reste immobile (comme le pigeon ou la chouette), si bien que seul l’électro-encéphalogramme indiquant des ondes lentes permet de dire qu’elle s’est endormie ! Lorsque l’oiseau entre dans une phase de sommeil REM, ses paupières se ferment, ses yeux bougent rapidement alors que sa tête tombe en avant, comme on le voit dans la vidéo. Les chercheurs ont décelé une bizarrerie : pendant ce sommeil paradoxal, le cerveau de l’autruche émet parfois des vagues lentes, semblables à celles émises pendant le sommeil profond. Les phases REM de l’autruche sont aussi inhabituelles par leur durée : elles peuvent atteindre jusqu’à 5 minutes, contre 10 secondes en moyenne pour la trentaine d’espèces d’oiseaux étudiées auparavant. Au total, ce sommeil paradoxal REM occupe un quart du temps de sommeil, plus que pour aucun autre oiseau : l’autruche aurait donc un sommeil moins profond que les autres volatiles.
Cette particularité ne semble pas liée à la taille de l’autruche : le gros manchot empereur (Aptenodytes forsteri) connaît des phases de sommeils REM semblables à ceux d’oiseaux plus petits. Pour trouver un cas similaire, il faut se tourner vers les monotrèmes, cet ordre animal curieux regroupant des animaux à la fois mammifères et ovipares, tel l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus). Le rapprochement paraît étonnant, mais les chercheurs soulignent que les autruches forment le groupe le plus ancien de l’arbre phylogénétique des oiseaux, comme les monotrèmes sont l’ordre “de base” des mammifères : ces animaux sont tous deux anciens d’un point de vue évolutif. Il est intéressant de noter que le sommeil REM n’existe pas du tout chez la tortue, ancêtre commun des oiseaux et des mammifères : ce sommeil caractérisé par des ondes cérébrales rapides serait donc apparu indépendamment dans les deux branches animales, peut-être à partir d’un état hétérogène entre sommeils paradoxal et profond, dont les autruches et les ornithorynques garderaient la trace. Reste à comprendre pourquoi les différentes phases de sommeil se sont peu à peu différenciées au cours de l’évolution.
Source : J. A. Leskuet al., Ostriches Sleep like Platypuses, PLoS ONE, 24 août 2011.
Crédit photo : Tony Wills (CC-BY-SA-3.0).