En pleine canicule, n’avez-vous jamais pris en pitié les pauvres éléphants, qu’ils soient d’Afrique (Loxondontis africana) ou d’Asie (Elephas maximus), en vous demandant comment ces pachydermes faisaient pour se rafraîchir, quand leur température corporelle oscille autour de 36°C dans un environnement bien plus chaud ? Plusieurs hypothèses ont émergé au fil des ans : les bains de poussière ou de boue, la respiration percutanée (alors que l’éléphant est dépourvu de glande sudoripare) ou le battement des oreilles pour favoriser l’aération ! Non satisfaits par ces idées, et inquiets pour l’équilibre thermique des éléphants, des chercheurs de l’université Princeton (États-Unis) se sont demandés si les poils qui recouvrent le cuir des pachydermes n’étaient pas la clé du problème.

Les éléphants ne sont en effet pas imberbes. Si leur fourrure a décliné par rapport à leur ancêtre, le mammouth laineux (Mammuthus primigenius), elle compte encore quelques centaines de poils par mètre carré (une densité estimée à partir d’images de Sherini, une éléphante de 24 ans du Botswana). Longs de 2 centimètres en moyenne, et de 0,5 mm de diamètre (plus épais que leurs homologues humains), ces poils agiraient selon les physiciens américains comme des ailettes, similaires aux structures recouvrant les microprocesseurs dernière génération des ordinateurs. En augmentant la surface d’échange avec l’air environnant (alors que l’éléphant est l’animal terrestre présentant le plus faible ratio surface/volume), les poils-ailettes maximiseraient la dissipation de la chaleur corporelle.

Les poils, agents de la régulation thermique

Les physiciens américains ont modélisé l’échange thermique qui se produit au niveau des poils de l’éléphant.

L’équipe d’Elie Bou-Zeid a développé un modèle du transfert thermique entre l’éléphant et l’air, tenant notamment compte de la vitesse du vent (qu’il soit objectif ou ressenti lors des déplacements de l’animal, entre 0,5 et 2,5 m/s). Pour estimer le transfert effectué à travers la peau “nue”, ils ont utilisé l’une des nombreuses relations empiriques du nombre de Nusselt, un nombre adimensionnel (comme il en existe beaucoup en mécanique des fluides et en transfert thermique) lié au coefficient de transfert thermique. La contribution des poils a été déterminée en couplant équations hydrodynamique et thermique : la température du poil augmente rapidement lorsqu’on s’éloigne de la peau pour atteindre la température de l’air, le poil agissant principalement sur les sept premiers millimètres, soit environ un tiers de sa longueur totale.

L’influence des poils a été estimée sur les peaux lisses (comme les oreilles) et les peaux plus rugueuses (les pattes). La fourrure éparse de l’éléphant semble plus efficace sur les peaux lisses, où la dissipation est naturellement plus faible, et lorsque le vent est modéré. Enfin, l’effet des poils dépend fortement de leur densité. Au final, les poils peuvent contribuer jusqu’à 23 % au transfert thermique dans les conditions les plus favorables considérées par les physiciens (forte densité sur une peau lisse, et vent faible).

À notre connaissance, il n’existe pas d’autre exemple dans la nature de poils d’animaux qui augmentent la perte de chaleur“, avancent les auteurs de l’étude. La fourrure est en effet connue pour son rôle isolant ; pour les physiciens, il existerait une densité de poils critique qui distinguerait les fourrures clairsemées, agissant comme un dissipateur thermique, des fourrures denses et isolantes. L’homme, avec ses 2 millions de cheveux par mètre carré, se démarque ainsi nettement des pachydermes.

Source : C.L. Myhrvold et al., What Is the Use of Elephant Hair?, PLoS ONE, 10 octobre 2012.

Crédit photo : brittanyhock – Flickr (CC BY-NC 2.0).