La maîtrise du feu aurait joué un rôle important dans l’évolution des hominidés : une étude récente (conduite sur des souris) montrait par exemple que la cuisson améliorerait les apports énergétiques retirés de la consommation de viande. Depuis quand Homo est-il capable d’allumer une flamme, pour faire cuire ses aliments, se chauffer ou encore éloigner d’éventuels prédateurs ? Si les fouilles archéologiques font remonter les plus anciennes traces de feu domestiqué vers 400 000 ans, par exemple sur le site proche-oriental de la la grotte de Qesem (dont il avait été question dans un précédent article, Adieu l’éléphant, bienvenue à l’homme moderne !), certains archéologues placeraient cette rupture vers 1,9 million d’années, s’appuyant pour cela sur des hypothèses relatives au rythme supposé de l’augmentation du poids des hominidés. Aujourd’hui, une équipe dirigée par Francesco Berna, de l’université de Boston, présente des preuves tangibles d’un foyer allumé par l’homme il y a environ 1,0 million d’années, retrouvées dans la grotte de Wonderwerk, au Nord-Ouest de l’Afrique du Sud.

Les fouilles de cette grotte sud-africaine, longue de 140 mètres, ont repris à partir de 2004, après une phase intensive de travaux entre 1978 et 1993. Le site présente notamment une séquence acheuléenne riche en bifaces et autres éclats, issus de la taille des pierres par les premiers habitants du site. Des analyses paléomagnétiques, qui suivent les inversions du champ magnétique terrestre enregistrées dans certains minéraux, situent cette couche à environ 1,0 million d’années (pendant l’épisode de Jaramillo qui a marqué un « bref » retour à une polarité actuelle). C’est au sein de cette strate que les archéologues ont détecté des traces d’os et de végétaux calcinés.

Comment distinguer un foyer artificiel d’un feu de brousse ?


Quelques exemples des fragments osseux retrouvés dans la grotte de Wonderwerk, et portant des traces de feu.

Les analyses se sont concentrées sur des traces de végétaux calcinés, emprisonnés dans la roche, ainsi que sur plusieurs centaines de restes animaux (dents et os, dont de très nombreux fragments). Les archéologues notent que « l’angularité des fragments osseux et l’état exceptionnel de conservation des plantes réduites en cendres indiquent que ces composés n’ont pas été transportés jusqu’à la grotte par l’eau ou le vent, mais ont été calcinés et accumulés localement« . Les mesures de surface conduites par spectroscopie infrarouge sur les fragments osseux indiquent que les modifications observées dans la composition du minéral résulterait d’une cuisson entre 400 °C et 700 °C, une température suffisante pour endommager la structure chimique de l’os mais trop faible pour entraîner sa calcination totale.

D’autres traces de ce type, parfois plus anciennes, avaient déjà été identifiées sur d’autres sites archéologiques localisés en Afrique, en Asie et en Europe. Cependant, le fait que ces sites soient ouverts ne permettait pas d’écarter l’hypothèse d’un feu de brousse naturel. Ici, les indices ont été retrouvés à trente mètres à l’intérieur d’une grotte profonde, derrière un imposant stalagmite, mêlés à de nombreux bifaces qui indiquent une activité humaine pérenne à cet endroit ; la concentration de traces d’os calcinés, décelés sur plusieurs épaisseurs, renforcent l’hypothèse d’une combustion d’origine humaine étalée dans le temps. Les archéologues ont même écarté l’hypothèse d’une auto-combustion naturelle engendrée par des guanos : les excréments de chauves-souris, qui ont pu habiter la grotte à la même époque qu’Homo erectus, peuvent en effet prendre feu spontanément. Les analyses microstratigraphiques n’ont cependant pas mis en évidence de restes de guanos aux côtés des os brûlés. Reste donc une seule explication : le feu a été allumé par les occupants hominidés. La grotte de Wonderwerk (qui signifie « miracle » en afrikaans) héberge donc dans ses profondeurs la plus ancienne preuve connue à ce jour de la maîtrise du feu par l’homme, avant une autre découverte qui reculerait encore l’invention de ce « gap technologique ».

Source : F. Berna et al., Microstratigraphic evidence of in situ fire in the Acheulean strata of Wonderwerk Cave, Northern Cape province, South Africa, PNAS, 2 avril 2012.

Crédit photo : master.blitzy – Flickr.com (CC BY-NC-ND 2.0).