L’équinoxe de printemps a eu lieu le 20 mars dernier, marquant la fin de l’hiver. Ce rythme des saisons, s’il a inspiré les artistes et de nombreux rites païens, a de façon plus prosaïque un impact sur de nombreux comportements, comme en témoigne la saisonnalité du nombre de naissances (même si ce phénomène a tendance à s’estomper en France ces dernières décennies) ou de celui des suicides, comme l’avait mis en évidence Émile Durkheim en 1897. En cela, l’homme apparaît comme un animal saisonnier parmi tant d’autres : l’ours hiberne en hiver, la chèvre est en rut à l’automne et le vison à la fin de l’hiver… Les conditions météorologiques ont un impact sur notre humeur : en 1984, le psychiatre américain Norman E. Rosenthal a décrit le phénomène de la dépression saisonnière, qui peut toucher chaque hiver jusqu’à une personne sur dix à nos latitudes. Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque les nuits s’allongent et la température baisse ? Pour le savoir, des chercheurs japonais ont ausculté… le médaka (Oryzias latipes), un petit poisson très populaire dans les aquariums du monde entier.
N’en déplaise à certains, la recherche biomédicale a besoin d’animaux comme modèles d’étude pour améliorer notre connaissance du corps humain et développer des thérapies efficaces contre les pathologies qui peuvent nous toucher (si vous avez besoin d’être convaincu, n’hésitez pas à consulter le site recherche-animale.org). La tâche peut sembler ardue lorsqu’il s’agit d’étudier des troubles du comportement et de la cognition. Un “bon” modèle doit alors remplir trois conditions : il doit reproduire les modifications du comportement observées chez les personnes déprimées, ces modifications doivent reposent sur des mécanismes biologiques similaires et il doit prédire l’intérêt de potentielles molécules thérapeutiques. Qu’en est-il du médaka ?
Première étape : comment simuler des conditions hivernales dans un aquarium de laboratoire, et surtout, comment savoir si un poisson est déprimé ? Les chercheurs ont mis les poissons dans deux environnements : un aquarium d’été avec une eau chaude et un éclairage pendant 14 heures (soit une nuit de 10 heures) et un aquarium d’hiver, plus froid et aux nuits plus longues (de 14 heures). Résultats : en “hiver”, les médakas passent plus de temps au fond de l’aquarium et préfèrent les zones sombres aux parties mieux éclairées de l’aquarium. Le petit poisson social semble également plus replié sur lui-même : un test de sociabilité montre que le médaka vivant dans une eau froide préfère rester dans la partie de l’aquarium où il est seul plutôt que du côté où il peut apercevoir un congénère dans un aquarium voisin. Bref, le petit poisson présente des comportements anxieux et limite ses interactions sociales, comme un pauvre hère déprimé par l’arrivée de l’hiver.
Comment le cerveau est modelé par les saisons
Deuxième étape : comment ces états dépressifs se traduisent-ils dans le cerveau du médaka ? Les chercheurs ont effectué plusieurs séries d’analyse, relevant d’une part de la métabolomique (on observe l’ensemble des métabolites, des molécules issues du métabolisme du cerveau, à la recherche de différences à corréler à différentes conditions extérieures) et d’autre part de la transcriptomique (on observe cette fois-ci les ARN, des petites molécules portant l’information génétique à l’extérieur du noyau de la cellule, afin d’identifier les gènes actifs). Ainsi, les poissons déprimés produisent en plus grande quantité de la sérotonine mais moins de taurine, à l’activité anti-dépressive. La transcriptomique révèle que les gènes qui contrôlent l’horloge circadienne sont perturbés, ainsi que différents acteurs de l’inflammation. Le médaka présente ainsi des mécanismes connus pour être impliqués dans la dépression chez l’homme. Le modèle permet de confirmer le rôle supposé de ces différents éléments dans le développement de la dépression hivernale.
Enfin, l’étude japonaise a testé plusieurs molécules thérapeutiques potentielles par une technique dite de criblage. Elle a permis d’identifier un “hit”, un médicament potentiel contre la dépression hivernale : le célastrol, extrait de la vigne du tonnerre divin (Tripterygium wilfordii), appartenant à la pharmacopée traditionnelle chinoise. Cette molécule suscite déjà l’intérêt de médecins pour traiter certains cancers ou des maladies inflammatoires. Ainsi, ce petit poisson modèle pourrait ouvrir une autre piste, au-delà de la luminothérapie qui reste à ce stade le traitement de référence pour la dépression hivernale.
Source : T. Nakayama et al., Seasonal changes in NRF2 antioxidant pathway regulates winter depression-like behavior, PNAS, 10 avril 2020.
Crédit photo : CJS*64 – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0) ; taiwanicus – Flickr.