C’est par hasard que des chercheurs français du CNRS et de Saint-Gobain ont découvert un nouveau composé étonnant, capable d’influencer la croissance des cristaux de glace. Ce nouveau produit, l’acétate de zirconium, étonne par sa nature – c’est un sel constitué de deux espèces chimiques électriquement chargées, l’une négativement, l’autre positivement – et par sa petite taille. En effet, les chimistes cherchaient jusqu’alors à contrôler l’apparition de germes de glace en s’inspirant de molécules naturelles, connues sous le nom de protéines antigel. On retrouve de telles molécules chez des poissons de l’Arctique, qui peuvent alors affronter les rigueurs des températures australes, ou encore chez la chenille de la tordeuse de la verge d’or, ce qui lui permet d’abaisser son point de congélation jusqu’à – 38°C !

L’exploit de l’équipe française est d’avoir identifié un composé antigel contenant seulement 21 atomes, 10 à 500 fois moins que les grosses molécules (on les appelle d’ailleurs des macromolécules) d’origine biologique connues à ce jour. Plus petit, l’acétate de zirconium est aussi plus économique : il ne coûte que quelques dizaines d’euros le kilogramme, le prix d’une dizaine de milligrammes d’une protéine antigel de synthèse. De nature inorganique (le zirconium est un métal), il est également plus stable, et peut subir des écarts de température plus importants que des protéines organiques, simplifiant son utilisation dans un contexte industriel. Comment le sel de zirconium influence la solidification de l’eau en glace ?

Des cristaux de glace en nid d’abeille

En présence de sel de zirconium, la glace forme des colonnes régulières de base hexagonale : une fois fondue, l’eau libère des pores dans la matrice céramique.

Parmi les molécules antigel connues, les biochimistes ont distingué trois catégories : certaines introduisent un décalage entre la température de solidification et la température de fusion (toutes les deux égales à 0°C dans les conditions normales pour l’eau), ce que l’on appelle une hystérésis thermique ; d’autres inhibent la cristallisation de l’eau, empêchant la formation de germes solides une fois la température de solidification franchie, un procédé utilisé notamment pour les émulsions alimentaires comme les crèmes glacées. L’acétate de zirconium appartient à une troisième catégorie : le sel module la formation des cristaux de glace, qui s’organise en sa présence en aiguilles de base hexagonale. La croissance de la glace est donc orientée dans une direction privilégiée pour former de longues colonnes. Comment ? Les chimistes français pensent que, à la manière de certaines protéines antigel identifiées chez des animaux, l’acétate de zirconium est adsorbé à la surface des cristaux de glace et régule alors l’incorporation de nouvelles molécules d’eau dans la glace déjà formée  : elle limite ainsi sa croissance au niveau des facettes de la colonne, qui croît alors selon son axe vertical.

Une des applications de cette technique est la fabrication de matériaux micro-structurés. En effet, en congelant une suspension de particules de céramique, comme la zircone (un oxyde de zirconium, utilisé aussi bien pour les implants dentaires que comme ersatz du diamant), en présence du sel, l’eau contenue dans la solution va former des colonnes régulières au sein de la céramique. L’eau peut ensuite être sublimée par lyophilisation : il ne reste alors qu’une céramique poreuse, la glace devenue vapeur ayant libérée des trous très réguliers sur une grande longueur dans la matrice de zircone. Les pores ainsi formés peuvent mesurer plus d’un centimètre de long, pour une largeur de quelques micromètres, d’autant plus fine que la congélation sera rapide.

Source : S. Deville et al., Ice Shaping Properties, Similar to That of Antifreeze Proteins, of a Zirconium Acetate Complex, PLoS ONE, 18 octobre 2011 ; P. Davies et al., Structure and function of antifreeze proteins, Philosophical Transactions of the Royal Society B, 27 juin 2002.

Crédits photo : Sylvia Duckworth – Geograph project (CC BY-SA 2.0) ; Sylvain Deville.