Le 18 février dernier, un patient arrivait aux urgences de Codogno, en Lombardie, pour une pneumonie. Deux mois plus tard, les 60 millions d’habitants de la Botte, tout comme la moitié de la population mondiale, vivent confinés. Le responsable : le SARS-CoV-2, un coronavirus émergent qui s’est répandu partout sur le globe. Ce 26 avril, l’université Johns-Hopkins (États-Unis) recensait ainsi près de 3 millions de personnes infectées dans 185 pays ou territoires.
Face au caractère exceptionnel et draconien des mesures prises pour contenir l’avancée de la pandémie, certaines voix se font entendre pour remettre en cause leur efficacité. C’est pour répondre à cette polémique naissante que plusieurs chercheurs italiens d’horizons divers, du professeur d’éco-hydrologie Andrea Rinaldo au spécialiste des modélisations écologiques Marino Gatto, ont mis sur pied un modèle épidémiologique à l’échelle des 107 provinces italiennes. À la clé, une reconstruction de la dynamique spatiale de l’épidémie en Italie depuis la fin février qui permet d’estimer le bénéfice des mesures drastiques mises en place par le gouvernement Conte pour limiter les contacts individuels.
Histoire transalpine de la pandémie
Tout d’abord, petit retour en arrière sur la gestion de la pandémie en Italie. Alors que les premiers cas positifs étaient confirmés le 21 février en Lombardie et Vénétie, des mesures inédites de confinement sont prises deux jours plus tard dans 11 communes, ainsi que des restrictions partielles dans plusieurs régions du nord du pays. Le 8 mars, soit 17 jours après le premier diagnostic confirmé, le confinement est imposé à toute la Lombardie et à 15 autres provinces du nord, abritant un quart de la population italienne. Trois jours plus tard, le 11 mars, le confinement général du pays entre en vigueur, une semaine avant qu’une décision similaire soit prise en France. Au moment où l’étude a été soumise pour publication à la revue PNAS, le 25 mars, l’Italie déclarait 74 386 cas confirmés et 7 503 décès liés au Covid-19, contre 195 351 cas et 26 384 décès un mois plus tard…
Les chercheurs italiens ont taché de reconstituer cette même histoire au plus près du terrain, au niveau des 107 provinces italiennes, le second niveau d’administration territoriale (entre les 20 régions et les 7 983 communes). Pour estimer la propagation du virus, ils ont établi une matrice de mobilité entre ces 107 entités géographiques, en s’appuyant sur les données du recensement de 2011 qui indiquent pour chaque commune le nombre de personnes qui se déplacent quotidiennement vers une autre commune pour travailler. Les chercheurs se sont appuyées sur ces données pour représenter les déplacements réguliers des Italiens en l’absence d’autres données libres d’accès, comme les données de téléphonie mobile qui pourraient renseigner sur les déplacements pendant la période épidémique.
L’épidémie compartimentée
Deuxième pièce du puzzle mis en place par l’équipe italo-suisse : un modèle épidémiologique dit compartimental, qui “découpe” la population en plusieurs compartiments selon leur statut vis-à-vis du virus. Le modèle utilisé, appelé SEPIA, distingue 5 états : les personnes susceptibles, c’est-à-dire encore vierges de tout contact avec le SARS-CoV-2 (S), les personnes exposées (E), les personnes pré-symptomatiques, infectées mais pas contagieuses (P), les personnes asymptomatiques mais néanmoins infectieuses (A) et enfin les personnes symptomatiques et infectieuses (I). Pour ces dernières, le modèle précise qu’elles peuvent être hospitalisées (H), en quarantaine à leur domicile (Q), guéries (R, pour recovered) ou malheureusement décédées (D). Cette distinction est importante car les personnes H, Q et D ne sont pas mobiles et ne vont donc pas contribuer dans ce modèle à la propagation du virus vers une autre province. Le modèle repose enfin sur plusieurs paramètres représentant la probabilité de passer d’un état à l’autre dans la chaîne de contamination.
En croisant les données démographiques pour chaque province, la répartition des premiers cas apparus fin février et les données de mobilité entre chaque province, et en comparant avec les données d’hospitalisation recueillies par la Protection civile italienne, les chercheurs ont pu affiner leur modèle et estimer les valeurs critiques influençant la propagation du virus. Ils ont ainsi estimé la valeur du “fameux” R0 à 3,6, ce qui veut dire qu’un individu infecté peut contaminer en moyenne 3,6 personnes.
Une fois établi que le modèle permettait de reproduire de façon fidèle la dynamique spatiale de la pandémie au niveau national, les chercheurs l’ont fait tourné en programmant deux scénarios alternatifs : un confinement limité aux seules régions du Nord, comme décidé le 8 mars, ou aucun confinement. L’étude montre ainsi que les mesures de confinement prises ont permis de réduire la transmission du virus de l’ordre de 45 %. Enfin, au 25 mars, en l’absence de toute mesure de confinement, les hôpitaux italiens auraient pu devoir accueillir entre 172 000 et 347 000 personnes supplémentaires, et toutes les provinces auraient été touchées par la vague épidémique.
Dernier enseignement de l’étude : l’Italie aurait compté au 25 mars non pas 74 386 cas mais… 733 000. Les tests réalisés en Italie ne permettraient donc d’identifier qu’une personne infectée sur 10. Cet écart est dû à la politique de dépistage qui, comme en France, est limité en Italie aux personnes présentant des symptômes graves. Si rien n’avait été fait pour enrayer la propagation du SARS-CoV-2, entre 4,8 et 10,1 millions d’Italiens auraient été contaminés.
Bref, prenez soin de vous et restez chez vous.
Source : M. Gatto et al., Spread and dynamics of the COVID-19 epidemic in Italy: Effects of emergency containment measures, PNAS, 23 avril 2020.
Crédit photo : Jernej Furman – Flickr (CC BY 2.0).