Le 6 avril 2009, la terre a tremblé à L’Aquila, capitale de la région italienne des Abruzzes, causant la mort de 308 personnes. Mais que se passait-il pendant ce temps-là plusieurs mètres sous les décombres, dans les cavernes gorgées d’eau qui irriguent le sous-sol abruzzais ? C’est à cette question de prime abord incongrue que se sont attelés Dania Galassi et ses collègues italiens en plongeant dans les entrailles poreuses de la région pour y ausculter les bouleversements vécus par les crustacés et autres gastéropodes qui vivent reclus dans ces caves immergées.
Toute une faune vit en effet sous nos pieds, dans les poches inondées des aquifères, ces formations géologiques poreuses qui emprisonnent l’eau souterraine. Sous le massif abruzzais du Gran Sasso, on trouve ainsi un aquifère dit karstique, constitué d’un réseau complexe de fissures et de grottes, peuplées de nombreux organismes microscopiques appelés stygobies (leur nom rappelant le Styx, le fleuve souterrain mythique qui séparait le monde des Enfers) : des crustacés, des vers nématodes, des gastéropodes… Une étonnante faune, aveugle et dépigmentée, pullule, enfouie dans des cavernes inondées : elle représente selon les chercheurs italiens “la composante la moins bien connue de la biodiversité globale“, d’autant plus intéressante à étudier qu’elle est le plus souvent endémique, ces organismes étant les derniers survivants d’espèces présentes autrefois à la surface de la Terre avant de s’exiler dans les profondeurs, loin de la lumière du soleil. Et cette étude est d’autant plus urgente que les stygobies ne sont pas à l’abri de l’extinction, pourtant bien cachés dans leurs cavernes…
En vidant l’aquifère, le séisme a provoqué une hécatombe
En effet, le séisme qui a secoué la région des Abruzzes n’a pas laissé indemnes ses sous-sols, et notamment son réseau hydraulique. Les chercheurs ont constaté une chute brutale du débit du Tirino, un affluent de l’Aterno-Pescara dans lequel se déverse l’aquifère du Gran Sasso, après le séisme d’avril 2009. La raison ? les secousses ont vidé en grande partie les cavernes gorgées d’eau de la région. L’aquifère a continué à se déverser dans le Tirino à un débit anormalement élevé jusqu’à l’été 2013, malgré sa recharge par les eaux de pluie. Le séisme a également modifié la composition chimique des eaux déversées depuis l’aquifère dans le Tirino : plus acide, l’eau s’est chargée en fins grains de sable et en particules de matière organique, attestant de la vidange des fissures traversant l’aquifère. En revanche, les organismes stygobies ont été de plus en plus rares à émerger dans le Tirino. L’ensemble des espèces de crustacés étudiées ont vu leurs effectifs diminuer après le séisme, témoignant du choc imposé à l’écosystème stygobie par la vidange des cavernes qui constituent leur environnement habituel.
Combien de temps faudra-t-il aux crustacés stygobies pour recoloniser l’aquifère du Gran Sasso ? Si la situation hydrique semble être revenue à la normale quatre ans après le séisme, il faudra sans doute plus longtemps à l’écosystème pour retrouver sa splendeur d’antan : les espèces habituées à l’obscurité des cavernes ont évolué pour adopter un métabolisme plus lent, face à l’impossibilité d’utiliser la photosynthèse et à la rareté de la matière organique, uniquement issue du ruissellement des eaux de surface. Les conséquences des tremblements de terre se sont ainsi sentir, non seulement bien plus profondément qu’on ne pouvait l’imaginer, mais aussi bien plus longtemps qu’il ne faut pour étayer des bâtiments éboulés.
Source : D. M. P. Galassi et al., Earthquakes trigger the loss of groundwater biodiversity, Scientific Reports, 3 septembre 2014.
Crédit photo : Downing Street – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0) ; Flot et al. BMC Evolutionary Biology 2010 10:171 – Wikimedia Commons (CC BY 2.5).