Chaque année, plus de 3 millions d’articles scientifiques sont publiés. Pour se frayer un chemin dans cette masse d’informations, les chercheurs font leur « biblio » (entendre bibliographie) en utilisant des moteurs de recherche spécialisés comme PubMed, Google Scholar ou encore Dimensions, ou de plus en plus grâce à Twitter. Mais une fois la bonne publication trouvée, encore faut-il y avoir accès.

Un bon chercheur est un bon payeur

En effet, il existe une barrière à l’accès au savoir : il faut le plus souvent sortir sa carte bleue. Imaginions que vous souhaitiez lire le premier article décrivant la structure de l’ADN, publié en 1953 par Watson et Crick dans la revue Nature : il vous en coûtera, 67 ans après sa publication, entre 8,99 $ et 32 $ ! Pour les chercheurs travaillant au sein d’un laboratoire public, ils y accèdent le plus souvent grâce aux abonnements auxquels a souscrit leur organisme. Problème : leur coût, faramineux. Pour se faire une idée, le précédent accord entre le consortium Couperin, représentant plus de 260 acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, et le seul éditeur Elsevier, couvrant 2 200 revues, s’élevait à 174 millions d’euros pour 5 ans… Le secteur de l’édition scientifique est donc un bon filon. Le rapport 2018 de STM faisait état d’un chiffre d’affaires global de l’ordre de 10 milliards de dollars. Et si l’on épluche le rapport annuel 2018 d’Elsevier, on apprend que ses revues dégagent une marge bénéficiaire de 40 %. Pourtant, comme le rappelle en détail l’excellent documentaire Paywall: The Business of Scholarship, ni les auteurs ni les reviewers ne sont rémunérés par les éditeurs…

Bref, de plus en plus de chercheurs sont ulcérés de voir une part importante des trop rares ressources consacrées à la recherche publique partir dans les poches des éditeurs privés sans que leurs travaux soient librement accessibles. Peter Walter et Dyche Mullins, deux chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco qui décrivent les éditeurs privés comme des « parasites« , ont lancé un boycott du plus emblématique d’entre eux, Elsevier. Mais au-delà de ces mouvements de défiance, le potentiel d’Internet a été mis à profit pour développer une alternative à ce système si coûteux : l’open access, ou libre accès. Son acte de baptême, l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert (vous pouvez en consulter la version française ici), a été signé depuis son lancement le 2 décembre 2001 par plus de 6 000 personnes et près de 1 000 organisations.

Votre article, vous le préférez vert ou doré ?

Que se cache derrière l’open access ? Le volonté de faire tomber les barrières à la libre dissémination de la science, en rendant accessible d’un simple clic et sans frais la production scientifique à tout un chacun, chercheurs ou simples citoyens, issus des plus grandes universités occidentales ou des ONG des pays plus pauvres. Comment ?

  • Le « top du top » en matière de libre accès est ce qu’on appelle la voie dorée (ou gold open access) : la publication est mise en ligne par une revue dont l’accès est entièrement gratuit. Les coûts d’édition sont alors couverts par les auteurs (ce qui ne remplace pas l’évaluation par les pairs, pas question d’acheter le droit de voir ses résultats publiés), par des subventions, octroyées par des fondations ou des sociétés savantes ou d’autres solutions innovantes. On peut citer les revues de la Public Library of Science, plus connue sous le nom de PLoS, ou encore PeerJ.
  • Si l’on choisit de publier dans une revue classique, c’est-à-dire payante, il existe toutefois une alternative, la voie verte (ou green open access) : une fois l’article publié, l’auteur dépose une copie de celui-ci (dont il détient les droits d’auteur) sur une plateforme d’archivage ouverte, parfois après une période d’embargo de quelques mois pendant laquelle l’éditeur se réserve l’exclusion de sa diffusion. En France, la plateforme HAL (pour Hyper articles en ligne) a été développée en 2001 par le CNRS et abrite à ce jour près de 700 000 documents scientifiques.
  • Les chercheurs peuvent également pencher pour la voie hybride (une revue classique laisse le choix aux auteurs de publier leurs travaux en libre accès, à côté d’autres articles payants) ou encore la voie « bronze » ou « dégradée » (l’éditeur se réserve le droit de donner un accès libre à certaines publications de son catalogue).

Le mouvement est aujourd’hui lancé. Sur les 42 500 revues évoquées dans le précédent article, l’annuaire des journaux en libre accès (Directory of Open Access Journals) en dénombre plus de 14 500, éditées dans plus de 130 pays et abritant plus de 4 millions d’articles. Selon les chiffres de l’Open Science Monitor publiés par la Commission européenne, l’open access dans toutes ses voies représentait en 2017 plus de 40 % des publications des plus grands pays. Bien, mais peu mieux faire. Car si l’on regarde le verre à moitié vide, la majorité des travaux scientifiques reste inaccessible, sauf à payer.

Confinement sans abonnement

Venons-en à la situation actuelle. D’un côté, de nombreux chercheurs et médecins mobilisés pour étudier le SARS-CoV-2 et trouver des traitements efficaces. De l’autre, des scientifiques confinés loin de leurs laboratoires et de leurs bibliothèques. Et chacun se retrouve face au paywall des éditeurs…

Dès le 13 mars, la Coalition internationale des consortiums de bibliothèques (ICOLC) publiait une déclaration demandant notamment aux éditeurs de « rendre immédiatement accessibles tous les contenus et ensembles de données pertinents sur le COVID-19, les coronavirus (quelle que soit le type concerné), les vaccins, les médicaments antiviraux, etc. ». La plupart des éditeurs ont alors décidé de façon exceptionnelle de lever les barrières d’accès pour toutes les publications en lien avec la pandémie actuelle, y compris les prestigieuses revues médicales The Lancet et New England Journal of Medicine.

Et pour les autres chercheurs ? Pas grand chose… En effet, certains abonnements ne sont accessibles que depuis le laboratoire (par des restrictions d’accès aux sites Internet des revues), sans parler des chercheurs en sciences humaines et sociales qui consultent beaucoup d’ouvrages non dématérialisés en bibliothèque. Le consortium Couperin a listé les mesures prises par l’ensemble des éditeurs pour faciliter la vie des chercheurs pendant le confinement, mais bien peu ont suivi l’exemple des Annual Reviews qui ont décidé de rendre gratuit l’accès à leurs 51 revues. Une pétition a été lancée par des chercheurs français pour que l’ensemble de la littérature scientifique soit libre d’accès pendant le confinement, mais elle ne récolte à ce jour qu’un peu plus de 10 000 signataires…

Comme le montre ce schéma de la Bibliothèque Solidaire du confinement, trouver une publication est un véritable parcours du combattant.

Alors, beaucoup de chercheurs se résignent… à la fraude. Car on le sait, Internet a permis dès ses débuts le piratage, de musique puis de films et aujourd’hui de publications scientifiques (même si l’intérêt est moins répandu). Dans un premier temps, le hashtag #ICanHazPDF s’est popularisé sur Twitter, permettant de demander à ses connaissances d’envoyer le PDF d’un article caché derrière un paywall infranchissable. Des initiatives de se type fleurissent aujourd’hui, comme la Bibliothèque solidaire du confinement qui regroupe à ce jour plus de 60 000 chercheurs francophones en sciences humaines et sociales, moins de deux mois après la création de ce groupe sur Facebook.

Mais le piratage a pris une toute autre ampleur avec l’entrée sur scène d’une hackeuse kazhake. En 2011, Alexandra Elbakyan a créé la plateforme Sci-Hub en « aspirant » des millions de publications depuis des universités abonnées aux différentes revues payantes. La plateforme héberge à ce jour plus de 81 millions de publications. Une étude publiée en 2018 dans la revue eLife (en gold open access) estimait que Sci-Hub hébergeait près de 70 % du corpus mondial et qu’elle permettait de répondre à 99 % des requêtes des chercheurs qui s’y connectent quoitidiennement (les publications non hébergées sur Sci-Hub étant très peu demandées). D’autres plateformes, comme LibGen, permettent également de télécharger des ouvrages payants, habituellement consultés en bibliothèque. Bien entendu, ces plateformes sont illégales. Le 7 mars 2019, le tribunal de grande instance de Paris ordonnait ainsi à Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR d’empêcher l’accès à Sci-Hub et LibGen, à la demande d’Elsevier et de Springer, un autre éditeur privé. Décision rapidement contournée par les deux plateformes qui continuent à prospérer, pour le plus grand plaisir des chercheurs confinés.

On peut espérer que cette période inédite ait fait prendre conscience de l’importance d’un libre accès à la production scientifique, garante de l’innovation et de la réduction des inégalités entre institutions et pays. Des initiatives commençaient à fleurir, comme le Plan national pour la science ouverte lancé en 2018 ou le Plan S sous l’impulsion d’une coalition d’acteurs européens. Le Covid-19 leur donnera peut-être le coup d’accélérateur indispensable pour avancer vers une science plus citoyenne car plus ouverte.

Crédits photo : h_pampelFlickr (CC BY-SA 2.0) ; Magalie Le Gall (CC BY 4.0).