L’homme est, comme beaucoup d’animaux, équipé d’un thermostat grâce auquel il maintient sa température corporelle constante, autour de 37°C (sauf en cas de maladie, qui emballe la machine thermique). Nous faisons ainsi partie des espèces homéothermes, qui se distinguent des organismes poïkilothermes dont la température interne fluctue avec celle de leur environnement. Pour maintenir cette homéostasie au coût énergétique conséquent, l’évolution a sélectionné différentes stratégies (nous avions par exemple parlé de l’éléphant qui se refroidit grâce à ses poils) ; Homo sapiens a lui choisi de se chauffer en modifiant directement son environnement. Cette attitude originale fait ainsi parler le physiologiste américain Clifford Prosser à notre propos d’animaux extra-régulateurs, notre régulation thermique reposant sur une modification de paramètres extérieurs. Des chercheurs de l’université d’État du Michigan (États-Unis) et de l’université McGill (Canada), interpellés par leur collègue James Umbanhowar, se sont posé une question de prime abord assez saugrenue : afin de garantir notre homéothermie, est-il plus rentable d’un point de vue énergétique de chauffer notre maison ou de se couvrir d’un gros pull ?

Dans une étude datant de 2005, le physiologiste Ken Nagy a montré qu’à corpulence équivalente, un animal homéotherme (qu’il s’agisse d’un mammifère ou d’un oiseau) consomme entre 12 et 20 fois plus d’énergie pour son métabolisme qu’un reptile à sang froid. De combien augmente la production de chaleur requise chez les hommes extra-régulateurs ? Pour répondre à cette question, les physiologistes ont étudié la relation entre chaleur produite (qui s’exprime en watts) et température de l’air. Ils ont alors obtenu une courbe dont l’allure est identique à celle observée chez les autres animaux homéothermes : en dehors d’une zone de confort où l’organisme ne fournit pas d’effort majeur pour maintenir une température constante, la production de chaleur augmente d’autant plus que la température extérieure est faible (il est aussi envisageable de devoir refroidir l’organisme en cas de fortes chaleurs). Cette relation linéaire aboutit à la mesure d’une conductance, définie comme la chaleur à fournir pour lutter contre une baisse de température d’un degré.

Comment lutter contre le froid sans réchauffer la planète ?

Afin de maintenir une température corporelle constante, il est plus coûteux d’un point de vue énergétique de chauffer le tissu urbain que de se couvrir d’un gros pull.

Richard Hill et ses collègues ont comparé les besoins énergétiques de l’homme pour maintenir son homéothermie dans deux situations : en améliorant son isolation thermique par des vêtements, ou en s’enfermant dans des logements chauffés. Saviez-vous qu’il existait une unité pour mesurer l’isolation procurée par les vêtements ? Il s’agit du clo (abréviation de cloth, vêtement en anglais) : plus le clo est élevé, plus le vêtement est chaud, ce qui se traduit par une température à partir de laquelle le corps commence à produire de la chaleur plus basse et par une conductance plus faible (il est moins coûteux de lutter contre le froid dans une polaire que lorsqu’on est nu). Les chercheurs relèvent à ce propos que le vêtement le plus chaud est fabriqué par les Inuits : il s’agit d’une veste confectionnée en fourrure de caribou (qui, avec un clo de 12, protège jusqu’à des températures de -50°C !).

Pour connaître le coût énergétique de l’homéothermie assurée par un logement chauffé, les chercheurs ont recueilli les consommations d’électricité et de gaz naturel de six villes moyennes américaines, comme Ames (Iowa) ou Dothan (Alabama). La consommation énergétique de ces centres urbains en fonction de la température suit une loi identique ; elle indique toutefois des niveaux beaucoup plus élevés. Alors qu’un homme nu « consomme » environ 100 W pour se mouvoir dans des températures supérieures à 27°C et environ 400 W pour supporter une température proche de 0°C, la ville d’Ames rapporte une consommation par habitant de, respectivement, plus de 1 600 W et 2 900 W. En effectuant des calculs sur une année complète, les chercheurs estiment ainsi qu’une régulation thermique exogène, par le chauffage des logements, est 28 fois plus coûteuse qu’une homéothermie endogène, permise par des vêtements adaptés à la saison !

Ce résultat sonne comme une alarme pour les auteurs : « À une époque où le changement climatique s’amplifie à cause de l’empreinte carbone de l’humanité, nous devons reconnaître l’extravagance énergétique de notre thermorégulation contemporaine, à l’échelle d’une ville, qui privilégie la production à la conservation de chaleur. » Pour limiter la hausse des températures prédite par le dernier rapport d’évaluation du GIEC, troquez donc votre chauffage électrique pour une bonne paire de pantoufles et un gros pull, voire une peau de caribou…

Source : R.W. Hill et al., City-Scale Expansion of Human Thermoregulatory Costs, PLoS ONE, 15 octobre 2013.

Crédit photo : Ansgar Walk – Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).