Où est né le roi de la savane, le lion (Panthera leo) ? Comment a-t-il conquis plusieurs continents, avant de reculer sous les coups de boutoir des chasseurs ? S’il est célébré par de nombreuses civilisations, des empires antiques de Perse et d’Assyrie jusqu’au récit médiéval du Roman de Renart et plus récemment, au Roi lion, l’histoire du grand fauve reste pourtant encore mal connu. Une équipe internationale menée par Ross Barnett, de l’université de Durham (Royaume-Uni), et composée de biologistes venus du Royaume-Uni, du Qatar, des États-Unis, d’Australie, de Suède, du Danemark et de France, a donc cherché à remonter l’arbre généalogique du lion afin de mieux comprendre son évolution au fil des millénaires et son parcours à travers les plaines d’Afrique et d’Asie. 

L’histoire de Panthera leo est difficile à retracer pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les fossiles de ses ancêtres sont rares, de part les conditions de fossilisation et de conservation souvent défavorables dans les régions tropicales. Ensuite, plus récemment, la répartition géographique du lion s’est restreinte sévèrement : autrefois l’une des plus vastes de tous les mammifères terrestres (couvrant l’Afrique, l’Asie mais aussi l’Europe, jusqu’à la Sibérie, et l’Amérique, du Pérou à l’Alaska) le grand prédateur s’est mué en proie, et a vu de plus son habitat naturel bouleversé par l’homme. Ainsi, on estime qu’environ un tiers des lions d’Afrique ont été décimés dans les 20 dernières années, alors qu’il ne reste que 400 spécimens du lion d’Asie dans la péninsule de Kâthiâwar, préservés dans le parc national et sanctuaire faunique de Gir. Pour l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le lion d’Afrique est aujourd’hui une espèce vulnérable et le lion d’Asie est en danger d’extinction.

La photo de famille reste singulièrement vide, les “survivants” africains et indiens ne donnant qu’une image incomplète de la répartition géographique du fauve il y a encore quelques millénaires, voire quelques siècles. Pour résoudre cette difficulté, les chercheurs se sont tournés vers… les squelettes conservés dans les musées. Les réserves du Muséum national d’histoire naturelle de Paris ont ainsi été mises à contribution : Jacques Cuisin, co-auteur de cette étude et responsable de la plateforme de Préparation/Restauration du musée parisien, a sorti des collectes nationales 10 spécimens prélevés par le passé, dont certains dans des régions comme le Maghreb et l’Iran où les lions ont aujourd’hui disparu.

Le lion, un grand voyageur

Depuis l’Afrique, le lion a conquis il y a seulement quelques milliers d’années l’Asie, donnant naissance à cinq sous-groupes distincts.

Les chercheurs ont donc procédé à l’analyse de l’ADN mitochondrial de 14 spécimens issus de 4 musées européens (auxquels se sont ajoutés 74 séquences génétiques déjà présentes dans des banques de données). Cette technique est utilisée par les biologistes pour reconstituer l’histoire de populations animales (voir par exemple leur utilisation dans le cas des souris ayant accompagné les Vikings dans leurs périples maritimes) : en recherchant les mutations apparues et conservées au cours du temps sur une région constituée de 1 051 paires de bases (les “lettres” du code génétique), il est possible de reconstituer l’arbre phylogénétique séparant ces dizaines de spécimens.

Résultat : alors que les zoologues ne distinguent que deux sous-espèces, Panthera leo leo, le lion d’Afrique, et Panthera leo persica, le lion d’Asie, les données issues de l’ADN mitochondrial laisse poindre cinq groupes distincts, considérées par l’équipe de biologistes comme des unités évolutives significatives (USE). Leur ancêtre commun serait apparu en Afrique il y a plus de 120 000 ans. Ont suivi l’émergence de plusieurs “branches” de l’arbre familial, jusqu’à la sortie d’Afrique, il y a “seulement” 21 000 ans, via deux excursions séparées, vers l’Inde et l’Iran. Les dates de ces “embranchements” correspondent à des modifications de l’environnement, et notamment à la croissance, lors de phases humides, de forêts tropicales : celles-ci forment alors des “barrières” séparant des populations homogènes et qui vont évoluer à partir de là de façon séparée jusqu’à former deux USE distinctes. Ce phénomène, appelé spéciation vicariante, aurait également été renforcé par la présence des grands fleuves africains ou que la vallée du grand rift, selon cette étude.

Cette nouvelle vision de la dynastie du roi des animaux pourrait avoir des conséquences sur la stratégie de préservation de l’espèce : de deux sous-espèces, il faudrait dorénavant en considérer cinq, et les protéger chacune pour maintenir cette diversité génétique. En s’inspirant de la réintroduction du tigre de Sibérie (Panthera tigris altaica) dans les régions anciennement occupées par le tigre de la Caspienne (Panthera tigris virgata), aujourd’hui disparu, inspirée par des études génétiques ayant montré leur lien de parenté proche, il serait ainsi envisageable de réintroduire des lions dans le Maghreb à partir de son ancêtre le plus proche, le lion d’Asie présent encore aujourd’hui en Inde.

Source : R. Barnett et al., Revealing the maternal demographic history of Panthera leo using ancient DNA and a spatially explicit genealogical analysis, BMC Evolutionary Biology, 2 avril 2014.

Crédit photo : Gerald Pfaff – Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0 DE).