Toute la chimie organique tourne autour du carbone, brique élémentaire de la quasi-totalité des molécules. Jusqu’à aujourd’hui, la principale source de cet atome crucial provient des ressources fossiles, tels le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Une équipe de chimistes français du SiS2M (Service Interdisciplinaire sur les Systèmes Moléculaires et les Matériaux) propose d’utiliser le dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre abondamment produit par l’industrie, comme substitut aux hydrocarbures. Une voie révolutionnaire de recyclage du CO2 qui prend place dans le carré VIP (Very Important Paper) de la prestigieuse revue Angewandte Chemie.

Hydrocarbures vs. CO2

Les hydrocarbures, issus de la fossilisation de végétaux, assurent depuis plus d’un siècle une source de carbone satisfaisante qui a permis l’essor de l’industrie chimique. Les chimistes connaissent bien ces molécules (des chaînes d’atomes de carbone liés à des atomes d’hydrogène), et savent les transformer pour leur ajouter d’autres atomes, tels l’oxygène ou l’azote. On peut ainsi obtenir de nouvelles molécules aux propriétés variées : des détergents, des engrais, des plastiques… De plus, sous cette forme, le carbone est très énergétique, et donc plus facilement modulable par réaction chimique.

La molécule de dioxyde de carbone est bien différente. Liée à deux atomes d’oxygène, l’atome de carbone possède peu d’énergie d’origine chimique. Enfin, on connaît à ce jour peu de moyens de former à partir du carbone central d’autres liaisons, vers des atomes d’azote ou d’oxygène, pour apporter de nouvelles fonctions chimiques à la molécule. Face à ces deux difficultés – former des liaisons avec d’autre types d’atomes en lui fournissant de l’énergie – les chimistes français ont développé une stratégie faisant du CO2 une alternative viable aux hydrocarbures.

La molécule de dioxyde de carbone (CO2) pourrait remplacer à terme les hydrocarbures, tels l’octane (C8H18), issus des ressources fossiles.

La réaction chimique fait intervenir un catalyseur organique, le TBD (pour 1,5,7-triazabicyclo[4.4.0]dec-5-ène), avec lequel le CO2 se lie temporairement : la présence du catalyseur permet au CO2 de réagir avec un composé azoté ou oxygéné pour former, respectivement, une molécule de carbamate (en se liant à un atome d’azote) ou de carbonate (avec un atome d’oxygène). Dans le premier cas, le composé intermédiaire, constitué du catalyseur et de la nouvelle molécule azotée obtenue à partir du CO2, réagit avec une molécule comportant un atome de silicium (un élément présent dans le verre et les matériaux électroniques) : on obtient enfin, après départ du catalyseur, une molécule de formamide. Cette voie originale de synthèse permet de fabriquer une grande variété de composés de cette famille, habituellement utilisée pour les colles ou encore les peintures, à partir de la petite molécule de CO2 et de quelques autres molécules organiques.

Recycler : pour une chimie plus durable

L’approche empruntée par l’équipe du CEA et du CNRS adopte tous les préceptes de la chimie verte, qui se veut être l’alternative écologique à la pétrochimie. Elle utilise un catalyseur organique : cette nouvelle génération de molécules catalytiques ne contient pas de métaux rares, tels le platine ou l’or, contrairement à la plupart des catalyseurs de la précédente génération. De plus, la réaction ne consomme pas de solvant, et se déroule sous une pression modérée (inférieure à 3 bars). Last but not least, cette synthèse emploie comme matière première le dioxyde de carbone, principal gaz responsable du réchauffement climatique. L’Agence internationale de l’énergie chiffrait dans un rapport publié en 2007 à 6,8 milliards de tonnes le gisement de CO2 recyclable : de quoi dégager un horizon radieux à cette chimie verte, pour préparer notre industrie chimique à l’après-pétrole.

Source : C. Das Neves Gomes et al., A Diagonal Approach to Chemical Recycling of Carbon Dioxide: Organocatalytic Transformation for the Reductive Functionalization of CO2, Angewandte Chemie, 29 septembre 2011.

Crédits photo : Walter Siegmund (CC BY-SA 3.0).