La quête des petits hommes verts prend une nouvelle direction. Après avoir scruté les ondes électromagnétiques pendant des décennies, les astronomes à la recherche d’une preuve de vie extraterrestre veulent sonder la surface de planètes voisines pour y déceler la présence d’éventuelles villes illuminées. C’est l’idée ingénieuse suggérée par Abraham Loeb, directeur du département d’astronomie de l’université Harvard (Etats-Unis) et Edwin Turner, professeur d’astrophysique à l’université Princeton, dans un récent article en ligne sur le site de prépublications arXiv, et soumis à la revue Astrobiology.

Sommes-nous seuls dans l’univers ?

Voilà une question lancinante, qui a torturé nombre d’auteurs de science-fiction, depuis Cyrano de Bergerac qui écrit en 1657 son Histoire comique des États et Empires de la Lune, et de scientifiques. Certains d’entre eux ont par exemple voulu estimer le nombre de civilisations extraterrestres qu’abriterait notre galaxie et avec lesquelles nous pourrions entrer en contact : proposée en 1961, la fameuse équation de Drake repose sur un jeu de sept paramètres, comme la durée de vie moyenne d’une civilisation ou le nombre d’étoiles en formation par an dans notre galaxie (vous pouvez vous amuser à faire votre propre estimation sur ce site).

Ce même Frank Drake est à l’origine du projet Ozma : en 1960, l’observatoire de Green Bank, situé en Virginie-Ocidentale, a pointé la parabole de son télescope vers les étoiles Tau Ceti et Epsilon Eridani pour mesurer les émissions radio provenant des environs de ces deux Soleils potentiels, à la recherche d’un signal émanant d’une créature intelligente. Les outils d’observations spatiaux existants ont ainsi été exploités depuis cinquante ans pour sonder la présence d’une autre civilisation au-delà de notre planète. Le programme américain SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), promu notamment par l’astronome américain Carl Sagan (auteur du roman Contact, qui a donné lieu à une adaptation cinématographique avec Jodie Foster en 1999), tente de déceler des fréquences radio émises, de façon intentionnelle ou non, par une civilisation extraterrestre.

Les néons plutôt que les ondes radio

Aujourd’hui, deux astronomes proposent une autre approche. D’éventuels extraterrestres, vivant sur une planète voisine d’un Soleil, devraient également connaître l’alternance du jour et de la nuit. En supposant qu’ils ne soient pas nyctalopes, ils devraient donc utiliser une forme d’éclairage artificiel pendant les phases nocturnes, éclairage dont les propriétés sont discernables d’un éclairage naturel fourni par un Soleil. Les télescopes actuels sont-ils capables de distinguer une région de la taille d’une agglomération humaine, éclairée de façon artificielle ? D’après l’étude des deux chercheurs, il est aujourd’hui possible de détecter des objets de quelques centaines de kilomètres de diamètre dans la ceinture de Kuiper, une région périphérique du Système solaire située au-delà de l’orbite de Neptune (entre 30 et 55 fois la distance Terre-Soleil). Un objet éclairé artificiellement étant plus lumineux qu’un objet « éteint », dont la seule lumière provient de la réflexion de la lumière de son Soleil (phénomène nommé albédo), il serait dès lors possible de repérer, en mesurant une luminosité similaire, une région plus petite, de l’ordre de quelques cinquante kilomètres, soit la taille d’une mégalopole terrestre.

Comment distinguer une lumière artificielle d’une lumière naturelle ? En suivant la variation du flux lumineux lors du déplacement de la planète sur son orbite. La signature de la réflexion de la lumière solaire (due uniquement à la diffusion sur la planète) décroît plus rapidement avec la distance d’observation que dans le cas d’une illumination artificielle. En mesurant ainsi la luminosité des planètes au cours de leur déplacement – sur une période de plusieurs années, afin de gommer d’autres phénomènes pouvant la faire varier, comme un changement d’angle de vue ou un dégazage – on pourra ainsi déterminer si une planète présente des sources artificielles d’éclairage à sa surface.

Les chercheurs insistent sur le fait que de telles observations peuvent d’ores et déjà être conduites pour les milliers d’objets de la ceinture de Kuiper connus à ce jour, précision qui à son importance à l’heure où certains projets du programme SETI sont abandonnés faute de financement suffisant. Cependant, Edwin Turner le reconnaît lui-même : « il est peu probable de trouver des villes extraterrestres en bordure de notre Système solaire. Mais le principe de la démarche scientifique est de trouver une méthode, puis de la valider ». Une fois cette technique testée sur les objets de notre voisinage proche (quelques millièmes d’année-lumière), la prochaine génération de télescopes, tels le European Extremely Large Telescope (EELT) en construction au Chili ou le télescope spatial James Webb (JWST) de la NASA, pourra se lancer à la recherche d’exoplanètes éclairées, en scrutant d’éventuels néons plutôt que des ondes radio.

Source : A. Loeb et E. Turner, Detection Technique for Artificially-Illuminated Objects in the Outer Solar System and Beyond, arXiV, 27 octobre 2011.

Crédits photo : David A. Aguilar (Center for Astrophysics).